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Yassin, voir plus loin que l’hiver [PORTRAIT]

Yassin, voir plus loin que l’hiver [PORTRAIT]

Rencontre avec le rappeur à l’occasion de la sortie de son premier EP.

Photos : Antoine Ott.

Yassin c’est l’un des tous nouveaux talents made in Seine-Saint-Denis. Produit brut de la ville de Pantin, le rappeur avait débarqué en 2019 avec sa trilogie de freestyle intitulée Hola Senorita. Depuis, ce dernier a su enchaîner avant de parvenir à être identifié par ses pairs, on pense à ses apparitions lors des Planète rap de Kofs ou d’Hayce Lemsi.

Doté d’un style affirmé entre mélancolie et esthétisme, il est certain que le séquano-dionysien a pour ambition de diffuser son art à grande échelle. Le 12 juin dernier, il sortait son premier EP intitulé Le temps d’un hiver et c’est à cette occasion que le jeune artiste est passé par nos bureaux.

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Une musique sans frontières

Newcomer de la scène rap, ce qui frappe tout de suite chez Yassin, c’est cette musicalité et cette proposition artistique en marge de ce qui se fait actuellement. Avec ses flows mélodieux, ses productions faites aux petits oignons et son attrait pour le design, la pépite du 93 nous donne du contenu inédit à consommer.

La musique ? Une passion qu’il prend très au sérieux et avec laquelle il a su prendre son temps afin de pleinement l’apprivoiser. De quoi envoyer des premiers jets de qualité : « On a réalisé un travail de l’ombre, je me suis enfermé des mois et des mois. Pour que tu te fasses une petite idée, à l’origine je n’utilise pas d’autotune, j’étais beaucoup plus dans un rap dur, j’ai fait mes classes avec du kick. Au bon d’un moment j’ai commencé à m’ouvrir musicalement et j’ai eu un déclic ». L’autotune, un logiciel grandement présent dans sa musique et qu’il a su dompter afin d’en faire l’une de ses armes favorites.

J’ai cette volonté de toucher plus de monde, que ce soit les tantes ou le quartier

Quand il s’agit de se lancer dans l’arène, le natif de Pantin réfléchit de manière consciencieuse afin de ne pas tomber dans la nasse. Guidé par cette envie de dépasser les frontières du rap, le rappeur prend une décision sagace et osée : « Sachant pertinemment que je n’étais pas le meilleur des rappeurs, je me suis dit qu’en apportant mon délire personnel, je pourrais plus facilement m’extirper de la masse et toucher un plus grand nombre de personnes. J’ai cette volonté de toucher plus de monde, que ce soit les tantes ou le quartier ». Un challenge pour le moins ambitieux que le jeune rappeur s’est lancé.

Des références aussi foisonnantes qu’originales

Si le jeune rappeur se différencie autant, c’est avant tout grâce à des bases qui s’avèrent diversifiées et parfois peu communes pour un bonhomme de son âge. N’ayant pas tout de suite été plongé dans le rap français, Yassin a pu balayer un large spectre et s’aventurer au sein de différents univers avant de trouver son propre style. Des inspirations allant de Stromae à Cesaria Evora, la célèbre et défunte chanteuse de morna coladeira : « Je n’étais pas branché rap français avant. C’est mon beatmaker Ayrton qui m’a mis dedans. Moi je faisais des remixes de Stromae, je prenais des prods de Cesaria Evora, j’ai utilisé ma voix le plus possible avant de rapper ». Le jeune artiste jouit donc d’un carnet de références bien fourni, différent des standards habituels.

Entre autres, Yassin paraît accorder une place quasi primordiale au design de ces visuels. Si cette déduction n’est en fait qu’une impression -il a avoué ne pas en faire une priorité- l’artiste a tout de même lâché quelques inspirations : « Etant dans un délire simple et épuré, j’ai beaucoup été inspiré par le travail de PNL. C’est simple mais touchant. Après il y a les gars du pays comme Issam qui propose des visuels un peu matrixés comme je les aime. Il y a aussi Travis Scott ou le groupe The Blaze ».

A mes débuts, je faisais des remixes de Stromae et je prenais des prods de Cesaria Evora

Outre ces influences pour le moins originales, il y en a une qui suit l’artiste tout au long de sa jeune carrière, le manga GTO (Great Teacher Onizuka). Une oeuvre racontant le changement de vie d’un briscard, Eikichi Onizuka, qui se voit devenir du jour au lendemain le professeur d’une classe de troisième très turbulente. D’apparence comique, le manga représente bien plus et si pour certain il s’agit d’un récit léger, pour d’autres ce sont des dizaines et des dizaines de leçons de vie sont à retrouver dans ce shonen. Un manga dont on constate que très récemment l’influence sur la scène rap, l’exemple le plus probant restant PNL avec le titre Onizuka en hommage au personnage principal. Un impact très fort chez Yassin, comme le prouve sa série de titres éponyme. Malgré cette passion indéniable pour l’oeuvre de Toru Fujisawa, la présence du manga au sein de sa musique part avant tout d’un quiproquo : « J’étais au studio en train d’enregistrer un son et dans le refrain je dis « GTS la moto, je l’emmène à Milano ». Et à ma pause clope, mon pote m’a dit de remplacer GTS par GTO. C’était un malentendu mais ça a très bien collé avec mon image ». Un placement qui s’avère logique lorsqu’on sait que la bécane est l’une des passions du héros japonais. Comme quoi, le hasard a des intuitions qu’il ne faut pas prendre pour des coïncidences…

Un style travaillé

Avant de se lancer dans le game, c’est avec une grande tempérance que la pantinois a préparé son arrivée. Plus jeune, il a fait ses armes en rappant auprès de ses potes avec lesquels il formait un groupe. Après une séparation due aux aléas de la vie, c’est en solo que ce dernier a décidé de poursuivre sa carrière musicale. Par la suite, Yassin est resté dans l’ombre pendant six ans, une période durant laquelle il s’est construit et équipé du matériel nécessaire à la conception de sa musique. Dès lors, il s’est entouré des bonnes personnes avec lesquelles il a pu bosser en bonne et due forme : « Avec mon équipe on a fait six mois de studio afin de bien se lancer et ne pas se laisser avoir par les évènements. On a pris notre temps et on a mis 100 % de nos capacités dans notre travail. L’objectif étant d’avoir énormément de morceaux, de clips en stock pour ne pas rester deux-trois mois sans envoyer de contenus ». Tel un Saiyan redoutable, Yassin a su atteindre la salle de l’esprit et du temps afin de s’y construire un style unique et efficace.

Un travail de longue haleine qui se ressent lors de l’écoute de son EP Le temps d’un hiver. Un projet composé en binôme avec Ayrton, un beatmaker signé au sein du label AWA Gang : « Le projet a été réalisé par le compositeur Ayrton surtout en ce qui concerne le mix et la direction artistique. Il était beaucoup plus dans un délire trap à l’origine et il s’est adapté à mon univers. Aujourd’hui on est indissociable et on forme un vrai duo. Il n’y aurait pas eu de GTO sans lui, on aurait travaillé notre musique d’une toute autre manière ». Un duo qui fait mouche et qui aura permis à Yassin de délivrer une véritable carte de visite.

On a mis 100 % de nos capacités dans notre travail

L’EP est porté par la thématique de l’hiver, utilisée pour évoquer toutes les choses négatives qui ont pu impacter l’artiste au cours de sa vie. Entre la trahison de ses frères et la perte de proches, le rappeur a fait de cette mélancolie le véritable fil rouge de son projet. Si ces thèmes sont compliqués à aborder dans sa vie quotidienne, le rap, lui, fait office de thérapie et lui permet de poser des mots sur ses maux : « En réécoutant le projet, je me suis dit qu’il n’y a aucun non-mélancolique (rires). C’est seulement en musique que j’arrive à m’exprimer sur ses sujets. Je n’ai pas encore ce côté coloré, je l’aurais peut-être à l’avenir mais pour l’instant c’est cet aspect triste que je veux montrer ». Une amertume ressentie sur ces douze titres, que la pépite du 93 aura à coeur de développer par la suite en y apportant toujours cette même imagerie déjà présente sur son EP : « Dans le projet, on retrouve beaucoup de mots-clefs (trahison, abandon) qui vont être une sorte de base pour mon univers ». Adepte d’un rap travaillé et d’un style singulier, il ne fait pas de doute que Yassin figure parmi ces jeunes talents à suivre de près. Si l’hiver est l’élément central de son projet, on lui souhaite une carrière à l’image de cette saison : longue et intense.

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