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Pourquoi Rim’K ne meurt jamais ?

Pourquoi Rim’K ne meurt jamais ?

Focus sur la carrière d’un immortel du rap français.

Auteur d’un énième projet (Midnight) il y a quelques jours, Rim’K confirme un peu plus chaque année son statut d’immortel du rap français et surtout sa capacité à rester parfaitement actuel. Un peu comme Snoop Dogg sur la scène américaine, il a toujours été là, conservant un équilibre assez particulier entre sa position de vétéran et une fraîcheur renouvelée par petites touches au fil du temps. Cas véritablement atypique, il doit sa longévité à une série de facteurs artistiques mais aussi à une excellente gestion de son image publique depuis ses débuts.

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Rim’K : Origins

Difficile d’évoquer le statut actuel de Rim’K sans prendre le temps de faire un rappel historique et de replacer les choses dans l’ordre. Si le rappeur vitriot est toujours en course aujourd’hui, c’est aussi parce qu’il a su négocier un départ efficace sans pour autant se griller pour la suite.

Les moins de vingt-cinq ans ne peuvent en effet qu’imaginer l’importance qu’ont eu Rim’K et ses acolytes du 113, AP et Mokobé, à leurs débuts. Le contexte est alors assez particulier : les grands groupes historiques comme NTM et IAM viennent de connaître leurs plus gros succès mais sont en fin de cycle ; les auditeurs se divisent entre le grand public, qui offre à Manau l’un des plus gros succès commerciaux de l’histoire du rap français, et une nouvelle génération d’artistes au style plus cru (Arsenik, la Fonky Family, Salif). Parfaitement mis en conditions par la production et les idées du regretté DJ Mehdi, le 113 sort à l’époque du lot grâce à un hybridage inédit entre instrumentales aux sonorités électro, et rap de rue plus classique.

Karim fait rapidement grimper son taux de sympathie sans se mettre personne à dos

Le premier gros succès du 113 est d’ailleurs un solo de Rim’K : Tonton du Bled. Avec ce titre, il capitalise déjà deux réussites importantes, qui auront leur importance par la suite. Premièrement, il réalise un single populaire sans être putassier, collant à cent pour cent à son univers (pas franchement évident à l’époque) ; c’est par ce morceau que la plupart des auditeurs le découvrent, et son image n’est donc pas entachée dans la mémoire collective. Aurait-il pu faire la même carrière si son premier single avait été plus formaté, moins sincère ? On ne peut pas le dire avec certitude, mais c’est une question qui a son importance.

Deuxièmement, avec Tonton du Bled, Rim’k est l’un des premiers rappeurs à s’adresser directement à la communauté maghrébine de France -il y en a eu bien sûr, on pense par exemple à Je suis l’Arabe de Yazid, mais leur portée n’a pas été aussi forte. Avant lui, nombre d’auditeurs ne se retrouvent pas forcément dans les discours des rappeurs. En évoquant de manière très concrète ce que des milliers de jeunes ont vécu chaque été sur la route du bled Karim fait rapidement grimper son taux de sympathie sans se mettre personne à dos. En somme, il pose -certainement sans le savoir- d’excellentes bases pour durer.

Une transition en douceur entre groupe et solo

L’apparition du 113 aux Victoires de la Musique en 504 Break, au printemps 2000, permet au groupe de représenter les banlieusards auprès du très grand public et d’institutions en décalage complet avec le rap. Sur le même ordre d’idées, le travail entrepris par DJ Mehdi pour continuer à creuser les fondations d’un socle commun entre rap et électro fait que le groupe vitriot devient l’une des rares entités médiatisées du rap français à repousser certaines frontières. Encore une fois, c’est l’équilibre entre des rappeurs qui restent eux-mêmes, et leur volonté de s’émanciper de certains codes trop figés, qui leur permet de bousculer l’ordre établi sans pour autant heurter les auditeurs.

représenter les banlieusards auprès du très grand public et d’institutions en décalage complet avec le rap

Dans le même temps, AP, Mokobé et Rim’K se fondent dans le collectif Mafia K1Fry, qui amène une image plus dure que celle du 113. Tous trois glanent un public qui était moins sensible aux sonorités des Princes de la Ville (1999) ou de 113 Fout la merde (2002), et commencent à montrer qu’ils peuvent travailler séparément. Sur le premier album du collectif, La Cerise sur le Ghetto (2003), le 113 apparaît au complet sur une demi-douzaine de titres, mais Rim’K s’émancipe en participant à des featurings sans AP et Mokobé : Rabzouz (avec Demon One, OGB, Selim du 94), L’Etat (avec Rohff, Karlito, Demon One) ou encore Fuck ton pote (avec Rohff).

A partir de cette période, les apparitions de Rim’K se font pour moitié en groupe, et pour moitié en solo. Plus productif que ses deux acolytes, on le retrouve en featuring sur des compilations (Pit Baccardi sur Première Classe Vol.2, Lino sur Street Lourd Hall Stars), invité sur des albums (Assia, Doudou Masta) ou en solo sur des bandes originales (Sheitan). Là où d’autres groupes ont dû passer par une cassure pour voir leurs membres s’émanciper en solo, la force du 113 est d’effectuer une lente transition sans que la moindre tension en fasse jamais surface. Quand le groupe sort son dernier album en 2010, les carrières solo de chacun -et en particulier celle de Rim’K- sont déjà lancées depuis des années.

Une discographie solo impeccable

De L’enfant du Pays en 2004 à Midnight EP en avril 2020, la discographie solo de Rim’K est d’une régularité très nette en termes de rythme de publication. On peut cependant distinguer deux grandes périodes. La première partie se situe de 2004 à 2012, avec des albums qui correspondent à ce qu’est le rap français de la deuxième moitié des années 2000. En plein effondrement de l’industrie du disque, son positionnement lui permet à la fois de survivre à la crise, et de conserver une certaine attache à la rue. S’il reste en effet assez loin des plus grosses têtes d’affiche de l’époque sur le plan des chiffres, il garde la tête hors de l’eau grâce à son aura et sa capacité à offrir aux radios les bons singles. A une époque où les rappeurs les plus mainstream sont violemment rejetés par une partie du public et par la frange la plus dure du milieu rap, Rim’K maintient une certaine attache à la rue et aux rappeurs indépendants qui empêche la fracture définitive. On le retrouve alors aussi bien en featuring sur des projets de Salif, Seth Gueko et O’Rosko que sur les chaînes musicales avec Jamel Debbouze, Reda Talliani et Grand Corps Malade.

En plein effondrement de l’industrie, son positionnement lui permet à la fois de survivre à la crise, et de conserver une certaine attache à la rue

De 2012 à 2016, Rim’K opère une transition qui n’apparaît pas directement dans sa discographie. C’est la période la plus longue pendant laquelle il ne sort aucun disque, mais c’est aussi une période charnière qui lui permet de se mettre à jour sur le plan musical pour prolonger sa jeunesse. Pendant toute l’année 2014, il enchaine ainsi une série de six clips, sans réelle prétention et sans lien avec un véritable projet. Il entame alors une mise à jour progressive, avec des prods clairement dans l’air du temps, et un style décomplexé qui le voit explorer différents types d’ambiances. Il rappelle qu’il excelle dans un registre plus street (Le Boulot, Mafiosi), mais aussi qu’il reste efficace sur des titres plus ensoleillés (Vitryo de Janeiro), et assure la continuité avec le « Rachid System » lancé en 2004.

Une mise à jour bien gérée

Avec cette série courte mais nécessaire, Rim’K a pu préparer son public à la suite des travaux : on comprend alors qu’il ne restera pas figé dans le passé, et qu’il faut s’attendre à le voir s’adapter progressivement aux évolutions des sonorités dominantes. L’album Monster, en 2016, vient alors comme une confirmation de cette mise à jour entreprise avec les hors-séries, et comme un pas supplémentaire vers l’avant. La continuité avec son univers et ses thématiques est assurée, mais les sonorités sont résolument dans l’air du temps. Remis en selle de la meilleure des manières, il a très logiquement enfoncé le clou avec Fantôme (2017) puis Mutant (2018). Contrairement à d’autres rappeurs qui ont dû s’adapter trop tard et ont perdu du temps à rattraper le train en marche, Rim’K a compris très tôt que le rap était un genre dynamique, dont les codes évoluaient d’année en année.

Rim’K a compris très tôt que le rap était un genre dynamique, dont les codes évoluaient d’année en année

Intermédiaire entre le grand public et les auditeurs de rap plus pointus il y a vingt ans, pont entre les différentes diasporas avec le 113 (Maghreb, Afrique subsaharienne, Antilles), Rim’K continue à occuper un rôle de liant aujourd’hui, en se plaçant au carrefour entre les générations. Venu d’une époque dont les rescapés en haut de l’affiche se comptent sur les doigts d’une main, il collabore régulièrement avec de jeunes artistes, dans une dynamique qui profite à tout le monde. Nekfeu (2016), Sadek, S.Pri Noir (2017), Sch (2017, 2020), Vald (2018), Ninho (2018), Koba LaD (2020) ont ainsi bénéficié de l’expérience et de la crédibilité de Rim’K ; en face, ce dernier a pu miser sur leur fraîcheur et continuer se mettre à jour en les côtoyant. Signe que la stratégie adoptée est la bonne, son plus gros succès solo arrive après deux décennies de carrière, avec Air Max et ses 130 millions de vues.

Un égo parfaitement placé

L’autre grand secret de la réussite de Rim’K tient dans l’excellente gestion de son image au fil des années. D’abord, en acceptant parfaitement sa position au sein du milieu rap, il évite tous les pièges qui ont pu perdre d’autres têtes d’affiche. En tête du peloton rap français au début des années 2000 avec le 113, Rim’K a ainsi vu son statut se redimensionner petit à petit au fil des années, devenant simplement un rappeur médiatisé parmi les autres. D’autres rappeurs n’ont jamais su accepter de redescendre des premières positions vers le milieu de tableau, et c’est en ramant pour revenir aux sommets qu’ils ont perdu de leur superbe. Laissant son égo de côté, Rim’K a composé pendant des années avec ce rôle sans jamais rappeler les faits de gloire du 113, et les chiffres assez faramineux de cette période.

le prochain qui m’appelle L’Ancien, j’vais lui dévisser la tête

Surtout, Rim’K n’a jamais cédé à la tentation d’entrer dans le jeu des clashs, ne répondant jamais publiquement aux attaques. A titre d’exemple, lorsqu’il a été piqué par Rohff, il a préféré éviter d’envenimer les choses en public : aucune réaction sur les réseaux sociaux, aucune réponse subliminale dans ses morceaux. Le temps a fait son oeuvre, prouvant que c’était le bon comportement à adopter, d’autant que Rohff est revenu sur la question depuis, mettant fin aux tensions. Hormis dans des cas très particuliers (concrètement : hormis quand on s’appelle Booba), un clash public n’est jamais bon sur le long terme. Dans ce type de situation, savoir maîtriser son égo s’est avéré franchement salutaire : peu importe l’issue d’une telle brouille publique, elle aurait forcément nui à l’image de Rim’K.

Malgré les apparences, sa carrière n’a donc rien d’un long fleuve tranquille : l’auteur de Chef de Famille a évité les pièges au fil des années, restant cohérent tout en comprenant la nécessité de se mettre régulièrement à jour et de rester au contact des sonorités les plus modernes. Après avoir traversé les tempêtes sans vaciller, Rim’K jouit aujourd’hui d’un statut à part au sein du rap français. Immortel ou presque, il est l’un des rares vétérans à avoir su rester parfaitement actuel, continuant à s’adresser à la nouvelle génération comme il s’adressait aux jeunes de son âge il y a vingt ans. Son rôle de « tonton du rap français » n’a jamais semblé aussi pertinent, mais attention tout de même à ne pas le froisser : comme il le rappelle sur Nuit Blanche, extrait de son dernier EP, « le prochain qui m’appelle L’Ancien, j’vais lui dévisser la tête ».

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