Pour la sortie de son troisième projet Apocalypse, Gazo se livre avec pudeur. Ce premier album célèbre, déjà, une carrière riche en succès (et en streams) et surtout une évolution artistique singulière dans le rap français. À 30 ans, le membre éminent de BSB est sûr de ses forces et déborde d’ambitions : celles de conquérir la France entière sans délaisser son public de la première heure. Un défi à la hauteur de son talent. Entretien.
Booska-P : On sent que tu as voulu délivrer un blockbuster de l’année du rap français, que ce soit des titres, aux featurings, jusqu’aux productions, on a le sentiment que c’est maîtrisé de A à Z.
Gazo : Merci, ça fait plaisir. Comme tu as dit, on voulait revenir avec un gros projet. L’état d’esprit était de débarquer avec un album ayant le potentiel d’avoir une tracklist entière convertible en single d’or. C’est un truc qui nous intéressait beaucoup avec Sherko. Après, on n’a pas conçu Apocalypse pour être un blockbuster. C’est plus le public qui transforme un album en blockbuster avec l’attente. On voulait vraiment délivrer un message fort et faire des gros sons. Je voulais être à la hauteur des attentes du public.

Comment se sent Gazo en tant qu’homme et artiste actuellement ? On a le sentiment que tu as officiellement changé de statut ces derniers mois.
Je me sens super bien. J’ai la chance d’être bien entouré et d’avoir une bonne pression. Elle n’est pas du tout négative. Apocalypse va être décisif dans mon changement de statut. C’est un peu comme ça que je vois chaque sortie de projet. Je ne suis pas quelqu’un qui en envoie souvent. Avec Apocalypse c’est quitte ou double : soit on passe un step, soit on reste bloqué. C’est le premier album et le troisième projet au total, sans compter celui en commun avec Tiakola. C’est un moment décisif dans ma carrière.
Comment tu te perçois dans le rap français aujourd’hui ?
Je ne sais pas comment me définir, mais je connais ma valeur. Il y a encore du travail, rien n’est acquis. Je ne suis pas au maximum de mon potentiel. Ce n’est que le début. Il faut rester au top pour marquer l’histoire. Quand tu vois les carrières d’autres artistes, il faut continuer de travailler pour avoir une longévité. Tant que je suis là, j’ai envie d’être chaud.
Ça fait quoi de se sentir autant attendu ? Ça te galvanise ?
C’est le moment que j’aime le plus car je vais enfin savoir si les gens se prennent les morceaux ou non. C’est une période très fatigante, mais c’est le jeu.
Sur Apocalypse, on entend un Gazo serein, qui s’amuse, mais toujours avec l’envie d’innover. Qu’est-ce qui a changé en toi par rapport aux années précédentes ?
Déjà, il y a les problèmes de la vie, que tout le monde affronte, et l’âge. J’ai pris en maturité et en expérience. C’est un tout. Avec le temps, on s’améliore et on a envie de tester de nouvelles choses.
Ce qui est flagrant avec ce nouvel album, c’est que tu es à la rencontre de ton public (séries de concerts dans des petites salles avant la sortie de Apocalypse) et plus accessible pour les médias. On te sent plus à l’aise que jamais.
Oui, c’est vrai. Je n’ai jamais été bloqué. C’est juste qu’il y a un moment pour tout. Si j’avais fait autant d’interviews ou d’événements avec le public par le passé qu’actuellement, ça n’aurait pas eu le même impact. Pour les release party, on voulait remercier celles et ceux qui ont précommandé l’album en avance. Ces personnes m’ont apporté un soutien fort. Je me sens redevable. Aller à leur rencontre et leur faire découvrir des titres en avance, c’est la moindre des choses. D’habitude, je fais des plus grandes salles donc c’était cool de partager un moment privilégié avec eux. Ils ont pu découvrir des titres en exclusivité. On a été stratégique. Par exemple, à Caen, on a lancé le featuring avec Orelsan (ndlr : « Optimale »). Après, on n’a pas créé le concept de realease party dans des salles de concert. Kanye West et Ty Dolla $ign nous ont inspirés.
Ce parti pris de réaliser des shows afin de découvrir l’album est intéressant je trouve. Je n’ai pas été aux différents concerts, mais j’ai vu de nombreuses vidéos qui m’ont permis de vivre digitalement l’événement. Par exemple, un titre comme « Nanani Nanana » est déjà connu de tous, sans être sorti.
Incroyable. Pour être honnête, je ne m’attendais pas du tout à ça. Je découvre en même temps que toi ce phénomène. Concernant « Nanani Nanana », Sherko me disait que c’était LE hit du projet. Personnellement, j’aime ce titre mais ce n’était pas une évidence. J’ai créé « Nanani Nanana » pour régaler mon public.

Depuis le début de ta carrière, tu es authentique dans tes textes et tu n’hésites pas à raconter ta vie, mais toujours avec subtilité. Dans Apocalypse, les relations amoureuses, ou du moins celles avec les femmes, sont un thème récurrent. Le train de vie d’un artiste/rappeur permet-il d’être amoureux ?
C’est plus difficile quand tu es connu. Il y a plus de barrières. J’ai moins de temps à accorder à cette partie de ma vie. Ce n’est pas une thématique que j’ai abordée dès le début de ma carrière par choix. Après, je ne suis pas un coach en amour (rires). Je raconte juste mes histoires personnelles. Il y a un moment pour être artiste et un autre pour faire sa vie.
Tu évoques aussi ton enfance difficile avec les différents foyers que tu as connus. Dans l’album, on a l’impression que tu combles cette carence affective par les relations amoureuses. Es-tu d’accord avec cette lecture ?
Peut-être que c’est le cas, mais je ne le sais pas. Ce n’est pas impossible. Après nous les hommes, c’est dans notre nature d’être proches des femmes. Tu vois ce que je veux dire (rires).
Autre sujet majeur de l’album : le succès. Qu’est-ce que le succès a changé dans ta vie ? Dans « Birthday », le featuring avec Jul, tu dis notamment : « la hess c’est plus qu’un souvenir ».
Dans le succès, il y a du mauvais, mais surtout beaucoup de bon. Ça t’apporte une stabilité. Tu peux subvenir aux besoins de ta famille. Grâce à ma première signature, ma mère a pu arrêter de travailler. Aujourd’hui, je peux être présent pour mes proches. C’est un sentiment plaisant. Par le passé, j’ai eu de nombreux différends avec ma famille. Indirectement, c’était lié à cette frustration de ne pas pouvoir les aider comme je le souhaitais. Depuis que je vis de ma passion, je suis fier et heureux.
As-tu le sentiment d’avoir réussi ou au contraire d’être encore loin du but ?
J’ai vu de nombreuses personnes monter plus haut que moi et redescendre plus vite. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, rien n’est acquis. Il y a une concurrence constante dans le rap français. Il faut toujours se renouveler, sans trop se comparer. C’est essentiel de créer son univers. On fait notre truc de notre côté, en espérant renforcer la fanbase.
Il y a un débat sur X (ndlr : anciennement Twitter) en ce moment : un rappeur est-il à son prime lorsqu’il est au plus mal ou pauvre ?
Ce n’est pas ce que disent les streams (rires). Concrètement, il y a deux publics : celui des réseaux et les autres. La partie qui domine n’est pas sur les réseaux. C’est ma théorie. Quand je fais des morceaux énervés de drill, c’est plus pour régaler mes fans de la première heure. Je sais que ce ne sont pas les titres qui vont être dans le top 50. Je ne m’attends pas à ce qu’ils pètent tout. Ce n’est pas grâce à ces sons que j’en suis là actuellement.

L’album contient 7 featurings avec des anciens et des nouveaux artistes (La Mano 1.9, Morad, Jul, Orelsan, Yamê, Fally Ipupa et Offset). Quel regard as-tu sur la nouvelle génération ? J’ai l’impression que c’est important pour toi de tendre la main aux plus jeunes.
Yes, obligé de tendre la main. Avant d’écouter du rap français, j’étais à fond dans la culture américaine. J’en ai appris sur le fait de donner de la force à la jeunesse. On fait tous notre temps. Collaborer avec la nouvelle génération, c’est gagnant pour les deux parties. Ça renforce la longévité et ça permet de toucher un autre public. Je le fais avec le cœur car je sens qu’ils aiment mon travail. Je ne suis pas dans un esprit de concurrence. On laisse parler la musique. Pour citer La Mano 1.9, on est sur le même terrain donc le featuring est évident. Je suis le premier à l’avoir découvert (rires). Avec ou sans moi, il aurait réussi à faire sa place.
La collaboration avec Offset a fait couler beaucoup d’encre avec la bagarre filmée et postée sur les réseaux sociaux. Sans forcément revenir sur l’origine de la dispute, car déjà expliqué chez CKO, as-tu changé de mentalité vis-à-vis des featurings avec des rappeurs américains ?
Pas vraiment pour être franc. Ça offre toujours une perspective intéressante. Pour celles et ceux qui me connaissent vraiment, ils savent que je suis dans un esprit « no lèche ». Quand j’ai fait le titre avec Offset, je me disais que ça allait être le morceau le moins streamé d’Apocalypse. Je voulais me faire plaisir avant tout et marquer l’histoire ainsi que celle d’Offset. Il ne faut pas minimiser son statut non plus. Notre collaboration suscite un engouement, qu’on le veuille ou non.
Avec « Toki », l’intro d’Apocalypse, tu voulais prouver à ton public que tu savais toujours aussi bien rapper sur de la drill ?
Exactement. Le rap, c’est mon premier amour. Après, on ne va pas se mentir, nous (ndlr : BSB, son label et sa marque de vêtement) sommes devenus une entreprise. Il faut faire de la musique qui marche. « Toki » est le dernier morceau qu’on a ajouté à la tracklist. On trouvait qu’il manquait un morceau sombre. Flem m’a proposé la prod. J’ai tout de suite adhéré. « Toki » sonne comme une introduction. Je suis sûr de tous les morceaux du projet. Je ne suis pas dans une optique de produire de la musique « fast-food ». Je veux frapper fort.
Sur le morceau « La Belle et la bête », tu parles du consentement. Un sujet plus que jamais d’actualité dans la société. Tu ressentais le besoin d’évoquer cette thématique ?
J’ai conçu « La Belle et la bête » il y a un petit moment. Il a très bien vieilli, mais le message reste d’actualité. J’ai toujours traîné avec des femmes et j’ai des sœurs. Ne pas les respecter, c’est une barrière que je ne pourrais jamais franchir.
Sur le morceau « iLUV », tu as samplé « Lettre » de Shurik’n, membre de IAM. C’est important pour toi de rendre hommage à des historiques du rap français ?
Dans mon équipe, on écoute beaucoup de rap, dont pas mal de morceaux anciens. On est tous de la génération 1990. Quand je me suis replongé dans « Lettre », j’ai pris une gifle. C’est important de rendre hommage au hip-hop français via les samples. Shurik’n a kiffé le morceau. Par la suite, on s’est branché avec tout le groupe.

Dans Apocalypse, tu lâches très peu ton célèbre gimmick « La Mala est gangx ». Avais-tu remarqué ? Si oui, pourquoi avoir fait ce choix ?
Au départ, je voulais le mettre partout (rires). Finalement, j’ai fait le choix de m’en délaisser. Je ne m’accroche pas à mes succès passés. Je ne vais pas le lâcher, mais je préfère évoluer. Quand le gimmick reviendra, c’est que je serai un peu nostalgique ou bien que le son sera incroyable.
Sur Apocalypse, tu laisses encore plus de place à la mélodie et aux sonorités colorées avec des prods de rumba ou de sexy drill. En quelques années, tu as réussi à créer un style « Gazo ». Quel est ton rapport à la mélodie ?
C’est quand je ne suis pas trop là que je suis le meilleur en mélodie (rires). C’est bizarre, mais c’est comme ça.
Tu as également acquis un savoir-faire sur les backs qui sont reconnaissables par 1000. Comment t’as affiné cette recette ?
Je suis issu de l’école de Migos. J’aime m’inspirer d’eux, mais sans reproduire la même chose. J’ai toujours aimé caler des backs dans ma musique. Je pense avoir réussi à créer ma signature là-dessus. Avant de les poser en cabine, je les entends vraiment dans ma tête. C’est fluide et naturel. Ma mélodie est logique.
En février, tu lances une tournée des Zéniths dans toute la France avec en point d’orgue un show événement à la Défense Arena de Paris avec le combat de Bakary Samaké en première partie. Qu’en attends-tu ?
Premièrement, c’est historique. Juste le fait que cet événement va exister, je trouve ça fou. Bakary va défendre sa ceinture et son invincibilité devant 40 000 personnes. Si on peut donner un coup de boost au frérot, c’est avec plaisir. Ça va aussi me permettre d’atteindre le public de la boxe. C’est donnant-donnant. Le rap et la boxe sont très liés.
Journaliste : Curtis Macé
Photographe : Héloïse Béghin
Directrice artistique : Noémi Bonzi
Assistant light : Emile Steiner
Styliste : Raphaël Faintuch
Assistante styliste : Lison Altobelli
Make-up artiste : Mélina Misy