Quel est le point commun entre les morceaux « Où je vais » d’Amel Bent, « Métisse(s) » de Yannick Noah et « Mi amor » de Kendji Girac ? Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces trois titres ont été écrits par des rappeurs français. Booska-P est parti à la rencontre de certains d’entre-eux pour décrypter ce nouveau phénomène. Enquête…
Ces dernières années, la « pop urbaine » s’est démocratisée en France. Nombreux sont les rappeurs à s’adonner au chant, s’octroyant ainsi la possibilité d’élargir considérablement leur public de base. Parallèlement, certains MC’s écrivent des textes pour des artistes de variété, et non des moindres. En 2005, Yannick Noah sortait l’album Métisse(s). Le sixième opus studio de l’ancien tennisman s’ouvrait par le titre éponyme, en featuring avec Disiz (anciennement Disiz la peste). Celui-ci a écrit l’intégralité des paroles de ce tube, qui demeure à ce jour le dernier véritable hit de Yannick Noah. Et c’est au culot qu’il est allé chercher celui qui est resté pendant longtemps la personnalité préférée des Français. « J’avais sorti deux albums au Sénégal, se remémore Disiz. Je voulais les éditer en France. Pour expliquer que j’étais Franco-sénégalais, il me fallait un single important, avec une pointure de la musique. Je me doutais qu’il serait compliqué de collaborer avec Johnny Hallyday. Par contre, Yannick Noah, qui est métisse comme moi, me paraissait beaucoup plus accessible. J’ai donc appelé son agent. J’avais enregistré une maquette où je chantonnais les parties que Noah serait éventuellement amené à faire, une voix témoin en quelque sorte. Non seulement, Noah m’a contacté pour me dire qu’il était d’accord pour faire le morceau avec moi, mais aussi qu’il souhaitait que ce titre figure sur son album. »
Disiz est à l’origine du tube Métis(se) de Yannick Noah…
Généralement, ce sont les artistes qui me sollicitent
Tunisiano est l’une des plumes favorites des artistes de variété…
Parmi les rappeurs français, Tunisiano est certainement l’une des plumes favorites des artistes de variété. Le membre du groupe Sniper a notamment été auteur pour Anggun, Amel Bent, Tal, Léa Castel ou encore David Carreira. « Généralement, ce sont les artistes qui me sollicitent, explique le natif de Deuil-la-Barre. Ça se fait naturellement, souvent après une rencontre en studio lors de laquelle on a sympathisé. » Encore plus surprenant, trois titres de l’album de Kendji Girac ont été écrits par un rappeur. Mi amor, Je m’abandonne et Au sommet proviennent du stylo de H Magnum. « J’ai rencontré Kendji par l’intermédiaire de Skalpovich, confie le Parisien. J’avais plusieurs morceaux en réserve que je ne pouvais pas sortir, car ils risquaient de déboussoler mon public. Ils étaient trop éloignés de mon image. Skalp, qui travaillait sur le projet de Kendji, a joué le rôle d’intermédiaire. Après, j’ai rencontré ce jeune garçon. Il me connaissait un peu, étant donné que j’ai beaucoup travaillé avec Maitre Gims, artiste dont il est fan. »
Tunisiano a été auteur pour Anggun, Amel Bent, Tal, Léa Castel ou encore David Carreira…
Ingrédient essentiel : le yaourt !
Mais comment se passe le processus d’écriture pour un tel exercice ? « J’écris au service de quelqu’un, répond Disiz, qui a également écrit pour le chanteur algérien Idir. Il faut comprendre l’ADN de l’artiste avec lequel tu collabores. Si tu écris pour lui comme tu écrirais pour toi, ça ne fonctionnera pas. » « Parfois, j’écris tout seul de mon côté, confesse pour sa part Tunisiano. Lorsque j’ai une commande, je dois respecter le nombre de mots et de syllabes du yaourt (Ndlr : technique qui consiste à chanter en produisant des sons, des onomatopées, des syllabes faisant penser qu’il s’agit d’une langue réelle). Pour certains titres, comme « Rien à envier » et « Amnésie » de David Carreira, je me suis retrouvé à la fois mélodiste et auteur, ce qui correspond à deux exercices différents. »
Quand Kendji s’approprie mon texte, ça lui donne une seconde vie
H Magnum possède également diverses façons de procéder. « Soit j’écris sur les yaourts de Skalp, soit je les fais moi-même. Kendji écoutait les yaourts avant de les valider. C’est un excellent interprète. Quand il s’approprie mon texte, ça lui donne une seconde vie et je ressens un immense plaisir », indique l’artiste d’origine ivoirienne, qui avait déjà écrit pour l’album d’une jeune chanteuse. Malheureusement, ce projet n’est jamais sorti…
J’aimerais mélanger mon écriture à celle d’Alain Souchon
H Magnum a même écrit pour… Julien Doré. Sauf que le vainqueur de l’émission Nouvelle Star, en 2007, n’est pas au courant. « Une fois, je suis tombé sur l’un de ses clips. J’ai vraiment apprécié son côté non-aligné. Un jour ou l’autre, je sais que je vais le croiser et je lui ferai écouter ce que je lui ai concocté », prévient-il. De son côté, Disiz se verrait bien travailler avec Alain Souchon. « Sauf qu’il écrit tellement bien qu’il n’aura pas besoin de moi... soupire le rappeur originaire d’Evry (91). Mais je suis certain que ça serait intéressant de mélanger nos écritures, surtout dans un domaine où il n’est pas forcément à l’aise. » Quant à Tunisiano, si l’opportunité se présentait, il serait « fier » d’écrire pour Johnny Hallyday ou Francis Cabrel. « La variété s’oriente de plus en plus vers le Hip-Hop. Donc c’est bon pour nous. On est en mesure de faire aussi bien que certains auteurs connus », estime l’acolyte d’Aketo. Surtout que le jeu peut en valoir la chandelle d’un point de vue financier.
Tunisiano a écrit le tube «Où je vais» d’Amel Bent…
« L’idéal pour ce corps de métier, c’est d’avoir des sons qui tournent en rotation à la radio. Contrairement au Rap, tu n’es pas cantonné à Skyrock. Tu peux même rentrer chez Chérie FM », poursuit Tunisiano, auteur du tube Où je vais d’Amel Bent. « Ça peut être le jackpot au niveau de la SACEM, confirme H Magnum. J’espère d’ailleurs que l’un des morceaux que j’ai écrit pour Kendji Girac sera prochainement choisi comme single. » Lorsqu’on sait que l’album du vainqueur de la troisième édition de The Voice, sorti le 8 septembre dernier, devrait franchir la barre des 300 000 exemplaires vendus avant la fin de l’année… On comprend mieux pourquoi !
