Actualités Musique

10 ans de Nero nemesis : le manifeste intemporel d’un Duc

10 ans de Nero nemesis : le manifeste intemporel d’un Duc

« J’ai fait du game une dictature, pour ça qu’on me récompense pas ». Nero nemesis fête son 10eme anniversaire. Énième classique dans la discographie de Booba, cet album met en lumière la détermination de son interprète afin de conserver son trône face à une nouvelle génération, prête à révolutionner les codes du genre. Publié lors d’une date historique pour le rap français (ndlr : le 4 décembre 2015, Nekfeu, JuL et Rohff ont également sorti un disque), Nero nemesis est le manifeste d’un artiste qui a traversé les époques tout en restant fidèle à ses valeurs. Pour ce 10eme anniversaire, Booska-P vous replonge dans ce classique intemporel. 

Une année 2015 historique pour Booba

Afin de mieux comprendre et analyser l’aura d’un album comme Nero nemesis (ndlr : le nom est une référence à la peinture noir mat des voitures Lamborghini et à la déesse de la mythologie grecque de la colère et de la vengeance), il est nécessaire de replonger une décennie en arrière. Un an et demi d’absence après Futur 2.0, Booba revient en 2015 avec non pas un, mais deux albums. À cette époque, la pratique n’est pas encore répandue, le streaming étant loin d’être entré dans les mœurs.

Tout commence donc le 13 avril 2015 avec la publication de D.U.C. Malgré une proposition innovante et intéressante, le projet reçoit un accueil mitigé. Beaucoup le jugent inégal, trop expérimental ou déconnecté de la signature habituelle de Booba. Il est probable que Nero nemesis ait vu le jour dans l’esprit du rappeur suite à ce demi-échec critique (ndlr : Booba n’a jamais confirmé l’hypothèse). À cela s’ajoutent de vives tensions avec Rohff et une volonté de réaffirmer son statut de patron dans le rap français. « Nero nemesis est un marqueur de longévité. Au moment où il sort, Booba aurait pu être dépassé, mais c’est tout le contraire. Il revient avec son album le plus iconique. Le projet répond à tout ce que l’on attendait de Booba », confie Punchologue, créateur de contenus. 

Nero nemesis est un marqueur de longévité. Au moment où il sort, Booba aurait pu être dépassé, mais c’est tout le contraire.

Cover de l’album D.U.C.

À la surprise générale, Booba dévoile Nero nemesis le 4 décembre en même temps que My world de JuL, Rohff Game de Rohff et la réédition de Feu de Nekfeu. Un hommage au duel opposant Kanye West et 50 Cent le 11 septembre 2007. Les deux artistes américains avaient publié à cette date les albums Graduation et Curtis pour savoir qui allait vendre le plus. Finalement, Booba écoule 35 000 exemplaires en première semaine, contre 20 000 pour Rohff. En revanche, JuL est loin devant avec 66 000 ventes. « Ça m’amusait de sortir Nero nemesis en même temps que l’album de Rohff. On se fait chier si je ne suis pas là dans le game », glissait Booba chez Yard en décembre 2015

Si le divertissement et l’adrénaline sont toujours au rendez-vous avec Booba, c’est avant tout grâce à la qualité de son nouvel album qu’il rayonne dans l’actualité à ce moment précis. Avec Nero nemesis, le « Duc » régale sa fanbase avec un projet sombre, cohérent et street, où l’autotune est plus mesurée. 

Pour couronner son année 2015, Booba annonce une date au palais omnisports de Bercy (ndlr : l’Accor Arena aujourd’hui) le 5 décembre 2015, le lendemain de la sortie de Nero nemesis. Le rappeur du 92 capte l’attention et écrase médiatiquement ses concurrents. Tout est parfaitement huilé pour marquer l’histoire du rap français. « En 2015, c’était dangereux de rapper à côté de Booba. Il kick, t’as peur. À cette période, beaucoup de personnes pensaient qu’il ne pouvait pas faire mieux que ses albums précédents. Ils avaient tort », lâche Richie Beats, producteur et beatmaker de « Pinocchio ».

En 2015, c’était dangereux de rapper à côté de Booba. Il kick, t’as peur.

Cover de l’album Nero nemesis.

Les fondations des codes du streaming de demain

Après 20 ans de carrière (ndlr : il a commencé le rap en 1994), Booba remet sa couronne en jeu avec Nero nemesis. Surtout, à 38 ans, il semble avoir retrouvé la dalle d’un rookie. L’énergie est brute. Chaque ligne témoigne d’une réflexion aboutie, tout en conservant une spontanéité naturelle dans son expression. Ses textes sont incisifs, remplis d’égotrip, mais aussi introspectifs, rappelant parfois sa jeune version de Temps Mort

Dans Nero nemesis, Booba se défoule sans aucun filtre. Il aborde ses tourments intérieurs, sa quête de succès, ainsi que les subtilités des relations humaines.

En évoquant son parcours, il donne à son récit une dimension sincère et percutante, renforçant ainsi l’authenticité de son propos. Booba ne se gêne pas non plus pour proposer une critique sociétale. Loin de se cantonner à l’autobiographie, il inscrit son discours dans une réflexion plus large sur les dynamiques sociales entre violence, loyauté et désir de pouvoir. Booba reprend le contrôle narratif de sa propre image : celle d’un impérial solitaire. En résumé, Nero nemesis reflète une maîtrise totale, livrée sans la moindre goutte de sueur.

Sur le 8e disque de sa carrière, Booba sort de sa zone de confort pour aller se confronter à la nouveauté. Tout y apparaît comme neuf : les flows, les productions trap dignes des grandes heures du rap d’Atlanta, les placements et les mélodies. « Kopp » s’entoure d’une nouvelle génération ambitieuse de beatmakers (Richie Beats, Ozhora Miyagi), dont la soif de reconnaissance entre en parfaite résonance avec l’intensité et la rage de Booba en 2015. « La direction artistique de Nero Nemesis, c’est du haut-niveau. Les prods et l’écriture sont monstrueuses. Booba a misé sur des producteurs visionnaires. Chacun a sorti sa pépite », raconte Richie Beats.  

« Génération Assassin » est la fulgurance la plus marquante de l’album. Tout y est. Le titre est devenu un hymne, cité et repris à foison. Il symbolise une certaine vision du rap français, entre respect des racines et modernité. « C’est peut-être le meilleur morceau de Booba. Je peux l’écouter à n’importe quelles périodes de ma vie. Les punchlines sont mythiques », glisse Punchologue. 

Pourtant, Ozhora Miyagi, compositeur de « Génération Assassin » n’avait pas la vision sur le morceau. « À aucun moment, je pensais avoir participé à la conception d’un classique. C’était une prod parmi tant d’autres. Booba a su la sublimer. Son génie, c’est de voir ce que personne d’autre ne voit. Sans ça, il ne serait pas celui qu’il est aujourd’hui. Il y a eu un avant et un après Nero nemesis dans ma carrière. Tout le monde m’a contacté par la suite », explique-t-il. 

Nero nemesis pose également les fondations de ce que deviendra le 92i dans un avenir proche. Damso et Siboy font une arrivée remarquée dans le game avec des couplets saillants. Sans oublier l’apport indéniable de Benash et Gato. Chaque invité apporte sa pierre à l’édifice. Booba protège sa place de numéro un, tout en mettant en lumière les futures stars du rap. 

Comme souvent dans sa carrière, Booba anticipe les tendances et les sonorités qui domineront le hip-hop tricolore les années suivantes avec Nero nemesis. « Validée » est l’archétype d’un hit dansant du rap français dans la décennie 2015-2025. « C’est sur ce genre de titre que tu comprends à quel point Booba a été avant-gardiste. Il a donné les clés du succès streaming pour le reste du rapgame », affirme Richie Beats. Un avis partagé par Ozhora Miyagi avec un autre morceau : « 92i Veyron ». « C’est la genèse d’un style dans le rap français avec un refrain chantonné et des accords magiques. Beaucoup de morceaux ont découlé de ce titre », analyse-t-il. 

Pour ceux qui n’ont pas vécu Temps mort et Lunatic, Nero nemesis est leur classique de Booba

Un classique qui traverse les générations

Considéré unanimement comme un classique, Nero nemesis a touché plusieurs générations. L’album est respecté par les plus anciens pour son écriture et sa profondeur. Tandis que les plus jeunes apprécient l’esthétique trap, son énergie et ses punchlines. Le projet a permis à de nombreux auditeurs de découvrir la culture rap, de mieux en saisir les codes et d’en apprécier la profondeur. Même dix ans après sa sortie, Nero Nemesis continue de nourrir l’inspiration des rappeurs émergents. « L’année dernière, j’ai collaboré avec un jeune artiste. Sa référence pour le morceau était “Pinocchio”. Il voulait les mêmes drums. J’étais choqué. Pour ceux qui n’ont pas vécu Temps mort et Lunatic, Nero nemesis est leur classique de Booba », raconte Richie Beats. 

Une décennie plus tard, Nero nemesis sonne toujours juste, preuve du flair de Booba. Si certains projets vieillissent vite, victimes des modes passagères ou des beats datés, l’album a su, au contraire, traverser les années sans perdre de sa fraîcheur grâce à des productions minimalistes et sombres. « L’album est toujours au même niveau qu’à sa sortie. Les hits plus dansants et les bangers rap de l’album sont toujours aussi efficaces en soirée. Ils tournent encore de manière naturelle. Et ça, c’est très fort », rapporte Punchologue. 

L’album est toujours au même niveau qu’à sa sortie

Sur le plan commercial, Nero nemesis est certifié triple disque de platine, soit plus de 300 000 ventes en France depuis mars 2022.

En conclusion, Nero nemesis ne se résume pas à un simple album. Il s’agit d’un véritable manifeste artistique qui a marqué une étape cruciale dans la carrière de Booba et l’histoire du rap français. Véritable pont entre générations, il a su allier modernité et authenticité, tout en restant fidèle à ses racines. Dix ans après sa sortie, l’album continue d’inspirer et de rassembler. 

Booba a signé un classique intemporel, une œuvre qui, loin de s’essouffler, souffle encore avec la même intensité.

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT