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Mais comment Philipp Plein est-il devenu l’empereur du mauvais goût ?

Mais comment Philipp Plein est-il devenu l’empereur du mauvais goût ?

Portrait du styliste millionnaire allemand qui est à l’élégance ce que Fast & Furious est au cinéma…

« Philipp Plein c’est du racket organisé pour tous les jeunes de cité qui bicravent de la drogue (…) Je trouve ça complétement honteux que l’on arrive à tomber dans ce genre de tendance (…) Philipp Plein c’est du foutage de gueule, c’est même pas bien coupé, même pas bien taillé. »

Ce que Sadek pense de Philipp Plein, beaucoup le pensent.

Face à eux, les amateurs de ses pièces cloutées/strassées/déchirées vendues à des prix défiant l’entendement (600 euros le pantalon de survêtement, 800 euros le hoodie, 2 000 euros minimum le blazer…) n’en ont cure. Le kitch et l’outrance, c’est leur truc.

Reste que si Philipp Plein clive, au-delà des goûts et des couleurs, l’homme inspire une forme de sympathie.

Mieux : sa success story vaut la peine que l’on s’y attarde pour quiconque un brin curieux de comprendre comment il en est arrivé à devenir le sponsor officieux des clubbeurs, rappeurs et footballeurs de la planète entière.

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Leçon n°1 : il est arrivé comme il est

Ou pour le dire autrement : « Mieux vaut se faire détester pour ce que l’on est que de se faire aimer pour ce que l’on n’est pas. »

Attribuée tantôt à l’écrivain français André Gide tantôt au rockeur grunge Kurt Corbain, cette citation résume la philosophie de Philipp Plein l’homme et de Philipp Plein la marque (la différence entre les deux n’est pas toujours des plus faciles à saisir).

Alors oui, à trop répéter qu’il se contrefout de l’opinion des autres, peut-être n’est-ce pas 100% le cas, mais toujours est-il que très tôt il a su qu’il voulait tracer son propre chemin.

Envoyé dans un pensionnat suisse l’année de ses 16 ans pour cause d’indiscipline chronique, il tente dans un premier temps de se fondre dans ce nouveau milieu particulièrement snob. Cheveux raccourcis sur la nuque et polos rose bonbons sur les épaules, il réalise rapidement qu’à trop vouloir être accepté des autres, il ne sera jamais vraiment lui-même, et donc jamais vraiment heureux.

Formatrice, l’expérience lui sert de rappel lorsqu’il s’aventure dans la mode, une industrie dans laquelle il s’est retrouvé de son propre aveu « par erreur ».

Étranger aux us et coutumes fashion, ce n’est ni le mépris de ses pairs et encore moins l’âpreté des critiques qui fustige « l’ostentatoire » et « le bas de gamme » de ses collections qui l’empêche d’avancer.

« J’ai réussi parce que je n’ai pas peur du jugement des autres (…) Je ne suis pas Coca-Cola. Je ne suis pas pour tout le monde. Je suis Coca-Cola avec une dose de whisky. »

« Depuis quinze ans, je travaille 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pour réaliser mon rêve et construire mon groupe. Je respecte tout le monde et je n’ai jamais reçu le soutien du milieu. Alors j’en profite pour dire que je ne m’excuse auprès de PERSONNE ! »

Leçon n°2 : il a su investir des marchés nouveaux

« Lorsque vous lancez un nouveau produit, la première question à vous poser n’est pas ‘En quoi est-il meilleur que celui des concurrents ?’ mais ‘En quoi est-il le premier ?’ (…) Quand vous arrivez le premier dans une catégorie, il ne vous reste plus qu’à la promouvoir car par définition vous y êtes sans concurrence. » Les 22 lois du marketing d’Al Ries & Jack Trout

Croyez-le ou non, mais Philipp Plein a commencé en designant… des lits pour chien.

L’idée lui est venue en deux temps : d’une part après avoir lu un article qui expliquait que le marché des animaux de compagnie ne connaissait jamais la crise, et de l’autre après avoir vu les chiots de sa mère déchirer les coussins Burberry tout juste achetés.

De là il s’est dit qu’un créneau existait pour vendre des meubles résistants aux propriétaires les plus fortunés.

Puis, il s’est ensuite tourné vers l’ameublement. En avance sur l’avènement des Fendi Casa et autres Armani Casa, il glane là à 23 ans son premier million grâce à sa création phare, le bureau en crocodile.

« J’étais le premier à faire ça. Je pouvais le fabriquer dans toutes les couleurs, les gens en étaient dingues. »

Et quand en 2008 il lance sa première ligne de fringues, c’est toujours guidé par ce principe.

« Quand je suis arrivé dans le monde de la mode, tout, absolument tout semblait déjà établi. C’est comme ça que j’ai compris que je devais faire quelque chose de différent si je voulais réussir. (…) Dans un marché saturé, je me suis établi dans une niche qui ne l’était pas, celle des nouveaux riches qui veulent montrer l’argent qu’ils ont gagné. »

Et quoi de mieux que de proposer à cette clientèle un produit à son image assorti du prix qui va avec.

« Je me disais que si je sortais des t-shirts qui coûtaient 500 euros, automatiquement ça intéresseraient les meilleures boutiques (…) Mille autres marques font des pulls noirs en cachemire à 900 euros, sauf qu’en écrivant sur les miens ‘F*ck you all’ en strass et en les facturant 3 000 euros, ça marche mieux. »

Leçon n°3 : il vend avant tout du rêve

Plus que des vêtements, Philipp Plein c’est en premier lieu une identité, un imaginaire.

« Le produit n’est que secondaire, il change tout le temps. Ce qu’on retient, c’est ton nom sur tes boutiques, ton image de marque. Tu ne vends que des rêves. Et nous on a inventé une nouvelle manière de communiquer le rêve aux gens. »

Bon attention, il n’est ici nullement question de rêves à la Martin Luther King, mais de rêves qui se mesurent en espèces sonnantes et trébuchantes, de rêves qui se résument à du bon gros matérialisme qui tâche et à de la célébrité de télé réalité.

Débourser plusieurs centaines plusieurs milliers d’euros pour du PP dans une de ses boutiques de Monte-Carlo, Milan, Doha, Ibiza ou Séoul, c’est en quelque sorte s’affilier à une certaine jet set.

Et pour faire les poches d’un public qui pour son immense majorité ne vit pas cette vie, rien de tel que d’aller débaucher ses célébrités préférées (Ronaldo, Neymar, Messi, Nicki Minaj, Snoop Dogg…).

Ces derniers se retrouvent d’ailleurs volontiers au premier rang des défilés de la marque.

Des plus spectaculaires, ils participent eux aussi de cette fabrique du rêve. Chiffrés à plusieurs millions de dollars, ils mettent en scène les idées les plus folles : les Migos en concert d’ouverture, un jet plaqué or en guise de décor, un podium transformé en piste de jet ski, Irina Shayk qui marche main dans la main avec un robot…

Tout est bon pour rester « cette fille de 20 ans que tout le monde veut b*iser » dixit le maitre des lieux.

Leçon n°4 : son storytelling est bossé

Avant-bras gauche tatoué de ses noms et prénoms typographiés comme les logos de ses marques, Philipp Plein est du genre « à vivre sa marque, à être sa marque ».

Intarissable en interview, il ne se lasse jamais de raconter avec ce mélange d’arrogance et d’humilité propre aux autodidactes son parcours hors du commun, celui d’un type né à Munich il y a 42 ans, « parti de rien », et qui aujourd’hui jouit sans entraves des fruits de son travail.

Et tant pis s’il omet de préciser que son père était chirurgien ou que sa grand-mère lui a prêté 10 000 euros pour se lancer, ce qui compte au fond ce n’est pas tant ce qui il est réellement que ce qu’il représente.

D’ailleurs quand lui est posé la question sur sa vérité, voilà ce qu’il répond : « C’est à chacun de se faire son propre avis, de voir ce qu’il veut voir. Moi je travaille beaucoup, je rêve et j’aime ce qui est beau. »

Et chez l’homme dont le cocktail préféré est le « cham-plein » (du champagne et du Red Bull), le beau c’est se pavaner en Lamborghini Aventador à 500 000 euros dans les rues de Monaco, manger du caviar à trois zéros, poster des photos de lui dans des yachts ou exhiber à son bras des girlfriends de préférence brunes et botoxées.

Au centre de cette stratégie de communication, son compte Instagram (2,3 millions d’abonnés) se veut une collection de clichés aussi criards que clinquants accompagnés d’hashtags qui respirent la mégalomanie (« unstoppable », « allthewayup », « THINK PLEIN »…).

Leçon n°5 : Philipp Plein considère la mode comme un business

Quand Philipp Plein parle de Philipp Plein c’est exclusivement en termes de chiffres (croissance, marketing…), lui qui se considère « 60% homme d’affaire, 40% designer ».

Rien d’étonnant à cela puisque ce sont les courbes de rentabilité qui l’on fait abandonner les meubles.

« Je n’ai jamais voulu faire de la mode, c’est juste qu’il y avait tellement plus d’argent à gagner. À quel rythme achètes-tu une chaise ? A quel rythme achètes-tu une paire de chaussures ? Et puis il y a le prix. 1 500 euros pour une chaise, c’est cher. Quand tu vois un sac à 2 000 euros, tu te dis, ça va. La marge sur le sac est 10 fois supérieure à celle de la chaise. Et tu le refourgues 1 000 fois plus facilement. »

De ce point de vue-là bien lui en a pris : du haut de ses 500 points de vente et de sa centaine de boutiques en propre, son « fucking empire » générerait plus de 300 millions de dollars de chiffre d’affaires – une activité comparable à celle de Kenzo ou Alexander McQueen.

Pas dit que cela suffise à convaincre les sceptiques, pas dit que cela dure éternellement, mais pour un type pour qui argent et réussite sont synonymes, la victoire est belle.

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