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Gomorra : Autopsie d’un phénomène [DOSSIER]

Gomorra : Autopsie d’un phénomène [DOSSIER]

En devenant une nouvelle référence du genre, la série étonne autant qu’elle impressionne. Tentons de comprendre ensemble les raisons de l’émergence du phénomène…

Ils n’ont pas pour habitude d’être bousculés de la sorte ! S’il n’y a rien de plus conservateur qu’un mafioso napolitain, ces derniers doivent pourtant faire face à une véritable révolution avec l’apparition et la propagation du phénomène Gomorra. Alors que le livre de Roberto Saviano, puis son adaptation cinématographique, ont créé bien des remous au sein de la Camorra, la série développée par Stefano Sollima a elle aussi participé à changer le regard que les plébéiens portent sur l’organisation mafieuse la plus célèbre du monde. Un état de fait inattendu qui nous amène à nous demander en quoi, à quelques mois de la sortie de la saison 2 (en avril prochain), Gomorra est en train de bouleverser les codes du genre ? Elément de réponse à travers une autopsie en 3 étapes

La mafia n’a jamais été aussi réelle…

Bien qu’elles soient rares, le temps fait bien partie des choses qui ont une prise sur les mafieux. En général, ils n’ont pas vraiment l’occasion de vieillir, ou alors très mal. Voilà maintenant un moment que l’horloge fait son travail, y compris en matière de cinéma ou de séries traitant de la pègre transalpine. Difficile donc pour les nouvelles générations de s’identifier à des personnages qui auraient aujourd’hui l’âge d’être leurs grands pères. Cet état de fait, les producteurs de Gomorra l’ont bien compris en choisissant de mettre en avant des personnages jeunes et ambitieux comme ceux qui les regardent. La proximité ne s’arrête pas là puisque les conditions sociales dépeintes à travers la saga ressemblent à s’y méprendre à celles présentes dans les quartiers populaires d’aujourd’hui. Un contexte qui amène évidemment les protagonistes à faire preuve d’une vision capitaliste plus que jamais contemporaine et généralisée.

Gennaro Svastano A.K.A le nouvel Immortel.

Elément essentiel d’une oeuvre comme Gomorra, le cadre spatio-temporel est lui aussi extrêmement actuel. Les faits se déroulent dans la société telle qu’on la connait de nos jours, avec ses spécificités et ses faiblesses, ce qui fait tomber certaines barrières entre le spectateur et la scène qui se déroule sous ses yeux. Qu’on le veuille ou non, jusqu’ici, les références du cinéma mafieux se déroulaient dans un passé qui est désormais plus que flou aux yeux des nouvelles générations, difficile alors d’avoir le même impact que sur leurs aînés qui ont grandit avec. Enfin, si le genre a toujours été aussi bien marqué par la lenteur des plans séquences et des scènes que par la longueur des oeuvres… Gomorra offre un tout autre rythme qui correspond beaucoup mieux aux nécessités d’une série TV et à la manière de consommer l’audiovisuel au XXIème siècle.

Gomorra saison 2 est attendue comme jamais.

Autre atout indéniable que possède la série, c’est qu’elle sonne vraie et c’est un élément essentiel dans ce secteur. Là où la plupart des oeuvres sont de simples fictions qui recopient certains codes tirés de la réalité, Gomorra est de son côté directement inspiré de faits réels avec toute la dramaturgie récente qui les entourent. Roberto Saviano, l’homme à l’origine du livre qui a inspiré la série, est actuellement expatrié et placé sous protection policière tant son travail a participé à dévoiler les coulisses de la Camorra. Chose qui a bien entendu grandement fait grincer des holsters au sein des plus hautes sphères de l’institution mafieuse. C’est dire si la fiction finit par se mêler à la réalité.

Une marque de fabrique

Si la notoriété de La Scampia n’a pas attendu le tournage de Gomorra pour être ce qu’elle est, sa réputation n’a pas empêché l’équipe de tournage de chercher à investir les lieux afin d’offrir une immersion totale au public. Evidemment, on ne rentre et ne ressort pas de là comme du Carrefour Market de votre quartier. Les autorisations officielles et officieuses nécessaires ont été obtenues au termes de longues et intenses négociations. Soucieux d’être crédible, le projet est basé sur des renseignements pris auprès de la population et d’éminents membres repentis ou non de la mafia. Atout charme qui donne également une forte personnalité au programme, la gestuelle typiquement italienne, les spécificités de langage et de comportements locaux sont omniprésents et minutieusement travaillés. Il existe un « style » Gomorra.

Au coeur des cités de Naples.

Ce côté homemade ne s’arrête pas là. Pleine d’audace, la recette est composée presque exclusivement d’acteurs inconnus rapidement devenus de véritables révélations en incarnant des personnages voués à devenir des icones au fil des épisodes. Que dire alors des dizaines de figurants recrutés directement sur place tout aussi bien pour offrir une couleur locale que pour assurer la sécurité du tournage… Conscient de ses faiblesses, notamment en terme de budget, l’équipe de Gomorra a rivalisé d’ingeniosité pour parvenir un résultat qui n’a rien à envier aux grosses productions américaines.

Quel avenir pour Ciro et Genna ?

Point d’effets spéciaux ni de superflu donc mais un scénario parfaitement maitrisé qui ne laisse aucunement la place à la reprise d’un souffle rapidement devenu court. Baladés à en avoir le tourni, on assiste à différentes histoires parallèles qui, entremêlées, donnent toute la complexité à un fil conducteur dont on comprend petit à petit les différents enjeux. Pierre angulaire de Gomorra, la force de ses personnalités… De Ciro à Genna en passant par Don Pietro et Salvatore Conte, les personnages sont déjà devenus des symboles pour toute une génération. Des caractères qu’il nous tarde de retrouver (au grand complet ?), d’autant que le final offert par la première saison nous promet bien des événements pour la suite…

Validé par le monde du Rap

Détail pour certains mais qui n’en est pas vraiment un pour d’autres, cette série est totalement imprégnée par le hip-hop à commencer par sa bande originale. La collaboration entre les artistes NTO’ et Lucariello nommée « Nuje Vulimme ‘na Speranza » a largement été plébiscitée et démontre que le rap excelle aussi en Italie. Une impression accentuée, si elle devait encore l’être, par les nombreuses séquences où les membres du clan Savastano se défoncent sur fond de gros son. Une pratique qui contraste forcément avec celles de leurs ainés dont l’univers sonore est bien plus traditionnel et conservateur. Une illustration du fossé qui peut exister entre notre génération et celle de nos parents en matière de goûts musicaux…

Le titre « Nuje Vulimme ‘na Speranza » de NTO’ & Lucariello

Les héros d’hier ne sont plus forcément ceux d’aujourd’hui…Malgré leur charisme, les Affranchis, Donnie Brasco, la famille Corleone ou encore Tony Montana sont maintenant devenus des légendes quelque peu vieillissantes qui ne correspondent plus forcément aux codes des jeunes d’aujourd’hui. D’une manière générale, le cinéma estampillé « mafia » a finit par perdre de sa superbe. Gomorra redore l’étendard Mafioso en réussissant le pari risqué de se créer une véritable identité.

PNL et SCH ont choisi La Scampia pour mettre en scènes leurs clips.

Bien loin des vieux mafiosi qui gèrent de loin leurs affaires depuis un canapé au coin du feu, Gomorra met en scène un nouveau modèle de voyous bien plus proches du terrain et de l’action. Au contraire des têtes de réseaux grisonnantes, ces mafieux du XXIème siècle possèdent tous les codes de la rue, que ce soit en terme de mode de vie, de consommations plus ou moins licites ou de vocabulaire. Du pain bénit pour des rappeurs toujours à l’affût de références dorées pour remplir leurs textes. Ainsi, de PNL à SCH, nombreux sont les clins d’oeil lyricaux quand ce n’est pas la totalité des clips qui sont tournés à la Scampia. C’est un fait, Gomorra a matrixé le rap Game.

De par sa modernité et son authenticité, Gomorra est parvenu à s’imposer comme une évidente référence dans le domaine du traitement à l’écran de la mafia. De quoi désarçonner les plus conservateurs et ravir les plus pragmatiques.

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