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Gangsta: rencontre avec les réalisateurs du film [INTERVIEW]

Gangsta: rencontre avec les réalisateurs du film [INTERVIEW]

Adil & Bilall, le duo triomphant de la scène ciné belge, se confie à Booska-P. De quoi parler de Bad Boys III, du hip hop dans le septième art et de Gangsta, une production explosive.

Loin de faire dans le mélodrame aux couleurs délavées, Gangsta a foutu la culture des quartiers au centre d’une oeuvre pop. Le film, « vite fait tiré d’une histoire vraie », raconte l’histoire d’une bande de potes qui se retrouve embarquée dans une drôle d’affaire. Sur fond de trafic de drogue entre la Belgique, la Hollande et le Maroc, Adamo et sa clique nous en mettent plein la vue. Loin d’être une simple histoire belge, le long-métrage signé Adil El Arbi et Bilall Fallah en impose. A l’heure où il débarque dans les salles françaises, rencontre avec les réalisateurs. Assurément les plus hip hop du game…

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Tout d’abord, c’est quoi un Patser (Gangsta en néerlandais, ndlr) ?

C’est quelque chose de vraiment spécifique. Même en Belgique, c’est un mot qu’on n’utilise pas trop, il vient des Pays-Bas. Un Patser, c’est littéralement un mec qui se la pète. En Hollande, les gangsters, historiquement, ont toujours été hauts en couleur, tout le monde les connaît. Comme des rappeurs en fait ! Même un mec en procès pour avoir tenté de faire liquider une trentaine de personnes, c’est une sorte de célébrité. Là-bas, ça a toujours été comme ça dans le gangstérisme, il y a un côté frimeur. Alors quand ils viennent à Anvers, tout le monde les voit avec les grosses voitures, les montres, etc. Tout le monde veut leur ressembler.

Vous avez replacé le quartier et ses problématiques au centre d’une oeuvre très pop.

La nouvelle génération de gangsters a grandi avec les jeux-vidéo, GTA, et regarde des clips de rap ou de r’n’b à longueur de journée. Ils sont tous fans de films de Gangsters. Ils aiment Al Pacino dans Scarface, les oeuvres de Martin Scorsese, mais aussi Fast & Furious. Ces jeunes-là, en Hollande et en Belgique, ils s’imaginent vraiment être des personnages qui sortent des clips, des jeux-vidéo et des films qu’ils regardent. C’est pourquoi on a voulu faire un film de leur point de vue. Eux-mêmes se voient dans un monde coloré, très pop. Ils ne se voient pas dans un drame social aux couleurs délavées. Les personnages de notre film sont vraiment inspirés de personnes qui existent. On voulait être dans leur tête, avoir leur vision du monde.

Tous les gens des quartiers peuvent se reconnaître là-dedans, avec cette image très hip hop, très moderne

Le film donne l’impression qu’il aurait pu être tourné partout, en France ou ailleurs.

On a regardé énormément de films avant de commencer celui-ci. Et que ce soit, La Cité de Dieu dans les favelas au Brésil, Boyz N Z Hood à South Central L.A, les films de Spike Lee à New-Yoork, Pusher du Danois Nicolas Winding Refn, ou encore La Haine en France, il y a une unité. Leurs personnages sont tous des fans de Bruce Lee, de Tony Montana. Cette unité rend ces histoires universelles, c’est ce qu’on a essayé d’atteindre même si ça parle d’une guerre des gangs très spécifique entre Anvers et la Hollande. Tous les gens des quartiers peuvent se reconnaître là-dedans, avec cette image très hip hop, très moderne. C’est quelque chose qu’on voit quand même très peu au cinéma alors que tout le monde écoute du hip hop !

Dans le cinéma européen, on laisse peu de place à la culture hip hop au sens large.

C’est un paradoxe, car si tu prends tout ce qui est hip hop et vient de la culture urbaine, c’est ce qui est le plus partagé dans le monde, des Etats-Unis jusqu’à l’Asie. Alors que le rock, ça va déjà commencer à être un peu plus spécifique. Quand tu intègres la culture urbaine dans un film, les gens te disent que c’est une niche, que ce n’est pas pour un public large. Alors qu’en fait, c’est tout le contraire, l’urbain, ça touche tout le monde.

Gangsta est découpé en sept chapitres, comme pour les sept pêchés capitaux… Pourquoi la volonté d’injecter un peu de religion dans ce film ?

On a grandi dans des quartiers où tout le monde se mélangeait. Nous, on est d’origine marocaine et on allait dans les écoles catholiques. On devait aller à la messe, tout ça. Tout ce mélange entre l’Islam, le Catholicisme et le Judaïsme est très présent, surtout à Anvers. Comme notre personnage vient de cette ville, impossible d’y échapper. On ne peut pas faire autrement qu’aborder ces questions, qui sont là, sous nos yeux. Même si tout le monde n’est pas religieux, c’est une partie de la culture de notre pays. C’est très intéressant d’avoir la culture musulmane de ceux qui viennent du Maroc et la culture des Belges catholiques.

Quand on rencontre Matteo Simoni, il n’est pas encore très connu en Belgique et on le prend pour un Italien

Une fois de plus, vous avez fait confiance à des amateurs pour la majorité des rôles.

En général, ceux qui sont dans nos films, viennent du Maroc ou du Suriname et n’ont jamais joué au cinéma. Quand on fait des castings, on cherche toujours ceux qui vont se démarquer. On a pas mal d’expérience avec les amateurs, car on a travaillé comme ça dans notre film Black. Ils apportent une énergie et une authenticité qu’on ne voit pas ailleurs. Ils ont de bonnes gueules et c’est ce qu’on cherche aussi. Plus ça a de la gueule et mieux c’est.

Matteo Simoni, grosse star en Belgique, a joué des rôles à l’opposé de celui d’Adamo. Pourtant, avec vous, il devient un vrai jeune de quartier !

Quand on le rencontre, il n’est pas encore très connu en Belgique et on le prend pour un Italien (rires) ! On se dit que ça serait cool de faire un film ensemble. On a toujours voulu travailler sur un film de gangsters et le fait qu’il soit d’origine italienne, c’est un hommage à Pacino ou Di Caprio. C’était donc logique de l’avoir, mais entre temps, c’est devenu l’un des acteurs les plus populaires de Belgique ! Il s’est fait connaître avec des rôles humoristiques et même un peu efféminés, c’est hyper drôle. Là, on voulait qu’il soit un mec de quartier, à moitié Marocain. Il a appris les codes, le style d’Anvers et a même la langue arabe ! Il ne se pensait pas capable de le faire, mais on savait que c’était un grand acteur. Il s’est donne à 200 % pour jouer un mec totalement différent. Il a bien été aidé par ses partenaires qui n’avaient pas eu d’expériences devant la caméra. L’authenticité de ces gars et le professionnalisme de Matteo, ça a créé un bon mélange, un super mix. Il y a beaucoup de choses imaginaires dans Gangsta, mais l’histoire de cette bande de quatre jeunes qui a volé de la coke, elle existe. Depuis cette affaire en 2013, il y a eu 30 morts en Hollande, et une liste de personnes qui doivent être tuées à Anvers. Du coup, on nous dit qu’on commence à déconner avec la promo du film. Ces quatre jeunes ont vécu la belle vie, sont allés au Maroc, etc.

Comment vous avez enquêté sur l’univers de la drogue ?

On a fait beaucoup de recherches, lu des livres et interviewé beaucoup de personnes. Et quand on en enquêtait là-dessus, un reportage est passé à la télé sur le problème de la drogue à Anvers. Là, tout le monde s’est réveillé et nous a demandé si c’était à cause du film ! Sinon moi quand j’avais 17 ans, déjà, on disait qu’Anvers était la capitale de la consommation de coke en Europe. Plus qu’à Londres, Paris, ou Amsterdam, on en consomme énormément dans les beaux quartiers. Lorsqu’on préparait le film, il y avait une violente guerre des gangs en Hollande et un gangster a fini par buter un mec à Anvers en plein jour devant au moins quarante personnes. Selon la police, ce sont plus de 300 tonnes de cocaïne qui transitent par le port d’Anvers chaque année. C’est-à-dire que la moitié de la production sud-américaine de coke passe par Anvers tous les ans, c’est inimaginable. Lorsqu’on a tourné nos scènes sur le port d’Anvers, on a dû construire un poste pour y mettre un acteur qui jouait un agent de sécurité, car en réalité, il n’y en a même pas. Dans le port, il n’y a aucun vigile, rien.

La vie, ce n’est pas les gentils qui gagnent et les méchants qui perdent

Ce qui marque dans Gangsta, c’est l’absence de morale, comme dans les films de Robert Rodriguez par exemple.

On a toujours un problème avec la morale. Les gens qui prônent ça sont souvent les plus hypocrites. Surtout si tu traites de la drogue, il y a une hypocrisie à tous les niveaux. Par exemple, on a un personnage dans notre film qui représente l’homme qui suit le bon chemin, c’est un immigré qui devient agent de police. Il est cool, mais personne ne le respecte, au quartier personne n’a envie d’être comme lui. Être dans la morale, ça ne t’apportes pas forcément le respect de l’autre, c’est important de l’exposer dans notre film. La vie ce n’est pas les gentils qui gagnent et les méchants qui perdent. On a étudié dans une école d’art, Saint Lucas, on était les seuls Marocains. Nous, notre truc, c’était les films américains ou les trucs français comme La Haine et les oeuvres de Jacques Audiard. Même si Michael Haneke est un génie et même si on adore ses films, on ne le regardait pas quand on avait 18 ans. Nos collègues par contre, c’était leur truc. Ils étaient gauchistes, intellectuels et voulaient tous être les nouveaux Haneke (rires) ! Nous, on regardait Bad Boys et on voulait faire tout exploser. Avec Gangsta, on veut parler à ce public-là, qui ne va pas forcément voir des films néerlandais.

Vous travaillez actuellement sur Bad Boy III… L’Amérique, c’est votre but ultime ?

Bad Boys III, on l’avait déjà refusé l’année passée pour tourner Gangsta. Will Smith a ensuite décidé de faire Aladin et le tournage a été repoussé. Au final, c’est revenu entre nos mains. Donc maintenant, officiellement, on travaille pour Bad Boys III. Mais tant qu’on n’est pas sur le plateau de tournage, rien n’est sûr à 100 %. On va croiser les doigts, mais on va peut-être faire trois films belges avant de se retrouver à la tête d’un film américain (rires) ! C’est un rêve, on a toujours voulu aller à Hollywood. Même un artiste qui ne veut viser que des festivals indépendants, son rêve, c’est l’Amérique. En tant que fans de cinéma américain, c’est un rêve. On se retrouve à discuter avec des experts. En plateau, on a posé énormément de questions à un cameraman présent sur les films d’Oliver Stone, Tarantino et Scorsese. C’était comme un making-of ! Hollywood, c’est la thune, mais aussi la réduction de la liberté artistique, pas comme en Europe. Sur Bad Boys III, tu ne vas pas faire tout ce que tu veux non plus.

D’ailleurs, vous n’avez pas intégré de rap américain dans votre B.O.

Le hip hop Néerlandais, c’est le genre qui vend le plus en Hollande. C’est une musique qui est prisée par les blancs comme ceux qui viennent de Tunisie, du Maroc ou du Suriname. C’est très populaire, mais le paradoxe, c’est que le rap flamand ne marche pas autant. En Belgique, tout le monde écoute ce qui vient des Pays-Bas. C’était une source d’inspiration pour nous. Pendant l’écriture du film, on a écouté du hip hop Hollandais avec Adje et Ali B qui ont eu un rôle dans notre film. Dans la vie, on écoute Biggie, A Tribe Called Quest, mais aussi La Fouine, Lacrim, etc. Et si on pouvait tourner en France, ce serait avec des gars comme ça ! Après, on est également des fans des musiques de film, comme la bande originale de Drive par exemple.

Si on pouvait tourner en France, ce serait avec des gars comme La Fouine ou Lacrim

Pour terminer, vu que vous êtes Belges d’origine marocaine… Vous avez un pronostic pour la coupe du monde ?

Bilall était proche de devenir professionnel, mais s’est cassé la jambe plus jeune, donc il a fait des films (rires) ! Cela reste un traumatisme pour lui, alors il préfère ne plus trop suivre le foot. Les Diables Rouges ont une génération unique, s’ils ne gagnent pas cette fois, on va encore attendre plus de dix ans avant de revoir des talents comme ça. On n’a jamais eu autant de footballeurs géniaux comme Lukaku, De Bruyne, Mertens, et Fellaini… Donc c’est maintenant ou jamais ! Pour le Maroc, c’est un honneur d’être au mondial ! Mais ils sont dans un groupe difficile, s’ils sortent des poules, ça sera déjà génial.

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