A7 célèbre son 10e anniversaire. Qui aurait cru qu’une « simple » mixtape d’un artiste émergent, publiée le même jour que les attentats les plus meurtriers du pays, allait devenir un classique du rap français ? Peu de personnes y croyaient. Ce projet aux allures d’album a fait rentrer son interprète dans la cour des grands dès son premier coup d’essai. Julien Schwarzer a embrassé sa destinée pour devenir SCH. Alors pourquoi A7 est unanimement considéré comme un disque culte ? Booska-P vous replonge dans ce long-format intemporel.
2014-2015 : la naissance du scélérat
L’année 2015 est l’une des plus mémorables dans l’histoire du hip-hop français. Diversité des styles, ascension de futurs artistes majeurs et un profond renouvellement des sonorités et de l’esthétique du genre : les raisons de cette affirmation sont nombreuses. Aux côtés de Le Monde Chico de PNL, Nero Nemesis de Booba, My World de Jul ou encore Feu de Nekfeu, A7 a marqué son époque. « On n’est pas venu pour faire des câlins dans le rap, on est venu n*quer des mères. On ne vise personne. C’est juste une manière de montrer mon ambition », affirmait SCH en novembre 2015, dans une interview disponible sur notre chaîne YoutTube.
On n’est pas venu pour faire des câlins dans le rap, on est venu n*quer des mères.
Pour contextualiser, SCH écrit des textes de rap depuis le début de sa dizaine. Il a très rapidement développé une passion pour la musique, en particulier grâce aux disques de variété de son père. « Le rap est une thérapie pour lui. C’est comme un poisson, obligé de nager pour ne pas mourir », déclare Zeg P, compositeur et beatmaker, ayant travaillé avec SCH sur un titre comme « FADE UP ».
À seulement 15 ans, il dévoile le projet confidentiel Les moyens du bord (2008) sous le pseudonyme Schneider, en référence à ses origines allemandes. Quelques mois plus tard, il s’associe à Barika’d Production pour donner naissance à sa première mixtape Revendiquer ma zone (2009), puis à Prise de conscience (2011). Ces sorties permettent à SCH de développer sa palette et de laisser des indices sur sa future direction artistique.
2014 marque une étape décisive dans le parcours du rappeur marseillais. C’est à cette période qu’il délaisse Schneider pour devenir SCH, acronyme de ses trois initiales. Il quitte également son label pour rejoindre l’écurie Braabus Music, en licence chez Def Jam France. Le premier morceau sous sa nouvelle bannière est un remix de « On fait pas ça » de Lacrim. Cette initiative lui permet d’être repéré par le rappeur parisien, alors au top de sa carrière après la publication récente de l’album Corleone. « J’écoute Lacrim depuis longtemps. À partir du moment où il m’a partagé, ma musique a pris de l’ampleur. Grâce à des amis en commun, on s’est rencontré. Il y a eu un rapport humain en premier, puis la musique s’est greffée », avouait SCH dans nos colonnes en 2015.
Sous l’aile de Lacrim, SCH entame son ascension et définit les contours de son personnage. Il fait la rencontre de Kore et Aurélien Mazin, futurs producteurs de A7. Durant une année, le natif de Marseille forge son univers avec des morceaux comme « La Mallette », « C’est la vie », « Paie moi ma drogue », « Mardi Graas », « TITVS » ou encore « Que Le Doigt ».
Le 1er juin 2015, SCH passe la seconde lorsque Lacrim l’invite sur « 6.35 » avec Sadek et lui confie l’outro de sa mixtape R.I.P.R.O Volume 1. avec « Millions ». Il saisit l’occasion et marque les esprits avec une écriture saillante, une diction singulière et un style vestimentaire atypique. Sa signature vocale âpre est immédiatement reconnaissable. Le scélérat vient de naître.
Un succès immédiat au cœur du chaos
A7 est publié le 13 novembre 2015. Le même jour, la France est frappée par les attentats historiques de Paris et Saint-Denis, qui font 132 morts et des centaines de blessés. Dans un monde normal, la mixtape aurait dû être étouffée par la morosité ambiante. Ce ne fut pas le cas, preuve de la qualité d’A7.

Malgré le contexte, A7 trouve son public avec 12 496 exemplaires écoulés en première semaine (6 495 en physique et 6 001 en digital). La mixtape se hisse même à la première place du classement digital (ndlr : albums achetés en ligne via des plateformes de téléchargement légal comme iTunes). Une véritable prouesse pour un premier projet avec une commercialisation semée d’embûches. « Tous les magasins étaient fermés le week-end qui a suivi les attentats. Je me suis dit que ça allait avoir un impact sur ses ventes, mais pas du tout. Combien aurait-il fait avec les deux jours d’exploitation en plus ? On parle d’une époque où le streaming ne comptait pas dans les ventes. Les chiffres ont confirmé que SCH était un phénomène », confie Nico Colombien, journaliste et créateur de contenus.
En mars 2016, A7 est certifiée disque d’or avec plus de 50 000 exemplaires vendus.

Les chiffres ont confirmé que SCH était un phénomène.
10 ans de vie condensés en 14 titres
Plusieurs facteurs expliquent le succès d’A7. La mixtape est le point final de 10 longues années de vie. Dettes, alcool et drogues étaient des thématiques récurrentes dans le quotidien de sa famille. Ces moments difficiles lui ont inspiré A7. « C’est le projet de mon enfance et de ma jeunesse que je n’oublierai jamais », expliquait SCH à l’Abcdr du son en 2018.
Productif, l’artiste phocéen aurait bouclé le projet en un mois seulement. Sa rencontre avec Kore, Aurélien Mazin et l’équipe de Katrina Squad (ndlr : groupe de beatmakers composé de Guilty, DJ Ritmin, Farid Next Level et Ace Loocky) a fait des étincelles. L’alchimie en studio était évidente. Les heures n’étaient plus comptées, seul le plaisir de faire de la musique régnait.

Avec A7, SCH impose ses gestuelles, ses grimaces vocales, ses expressions et un vocabulaire qui lui sont propres (« scélérat », « mathafack »). Surtout, il bouscule les codes du rap avec une esthétique visuelle soignée : tatouages, cheveux longs et style vestimentaire inspiré du rock. SCH est l’un des premiers artistes à avoir compris que le succès passe par l’image. La pochette de la mixtape s’inscrit dans cette démarche, clin d’œil à Blow (2001), film biographique du trafiquant de cocaïne George Jung incarné par Johnny Depp. « En 2015, on a tous halluciné devant la cover avec le doigt d’honneur en mode américain, torse nu. C’était tellement singulier. Aujourd’hui, ça choque moins. Il y a 10 ans, ce n’était pas le cas », détaille Zeg P.

SCH renforce sa musique avec un style cinématographique épuré. L’influence de la série italienne Gomorra, inspirée par le livre de Roberto Saviano et son grand banditisme froid, est évidente. Le clip du titre éponyme est tourné dans le quartier de la Scampia à Naples, comme « Le monde ou rien » de PNL. Autre preuve de son attachement à l’œuvre : le morceau « Genny & Ciro » reprend les prénoms des protagonistes.
Baptisée comme l’autoroute qui relie Paris, Marseille et Lyon, A7 invite l’auditeur à un voyage de 14 morceaux au cœur de l’univers funeste de SCH. Seuls Lacrim, Sadek et Lapso sont conviés sur la tracklist. Les textes sont sombres et universels, empreints de mélancolie. La voix rauque et légèrement nasillarde du S nourrit l’immersion dans le corps d’un voyou torturé. Son utilisation de l’autotune rend étrangement sa musique addictive. Le projet transpire aussi une haine viscérale de la pauvreté et des rêves d’ascension sociale avec des moyens peu légaux. Sa principale source d’inspiration est le noir. Ce mélange de violence et d’introspection tranche avec le rap français de 2015.
Autre fait : A7 ne résonne pas comme le rap marseillais de l’époque où JuL commence à installer sa patte spontanée. De nombreux auditeurs ont découvert bien plus tard que SCH venait de la cité phocéenne, d’autant qu’il ne mettait pas en avant son accent caractéristique sur ce projet.
Enfin, A7 rayonne grâce à sa diversité musicale : bangers rap (« A7 », « Gomorra », « Liquide »), titres festifs (« Champs-Elysées ») et moments plus vulnérables (« Fusil », « J’reviens de loin »). Il y en a pour tous les goûts, sans perdre sa ligne directrice. Chaque morceau contribue à une narration cohérente. L’apport de Kore, Aurélien Mazin et de Katrina Squad donne une couleur épique au projet avec un son trap mafieux. Les influences européennes s’entendent avec des chants bulgares sur « A7 » ou encore du clavecin sur « Mauvaises idées ». La Drill de Chicago était également bien présente dans la première partie de la mixtape. « A7 est une mixtape aiguisée. C’est un coup de couteau. Les sonorités sont aiguës et pointues. Les flows sont tranchants. L’écriture est folle », lâche Zeg P.
« Fusil » et « J’reviens de loin » laissent entrevoir l’attrait de SCH pour la variété française. Les codes de ce genre sont profondément ancrés dans son ADN grâce à son père. Un aspect que l’on retrouve régulièrement dans ses albums suivants. Le dernier exemple en date est « Deux mille » sur JVLIVS III : Ad Finem.
Une mixtape n’a que rarement autant ressemblé à un album.

En 2015, on a tous halluciné devant la cover avec le doigt d’honneur en mode américain, torse nu. C’était tellement singulier.
Un classique à l’unanimité
Au fil du temps, A7 est rapidement passé de projet marquant à une œuvre majeure du rap français. Dix ans après sa sortie, son statut est incontestable. Plusieurs morceaux sont devenus classiques comme « Fusil », « Champs-Elysées » et « Gomorra ». « A7 est un classique parce qu’il fait partie de ces projets que l’on compare toujours aux autres. C’est l’un des derniers grands disques qui font l’unanimité avec Or Noir de Kaaris ou LMF de Freeze Corleone. Il revient toujours dans les débats », avance Nico Colombien. Même son de cloche pour Vald, qui en mars 2025 dans l’émission Le Code, donnait la note de 20/20 à A7.
A7 est un classique parce qu’il fait partie de ces projets que l’on compare toujours aux autres.
L’impact de la mixtape se veut durable. La punchline « Se lever pour mille deux, c’est insultant » est implantée dans les mémoires. Encore aujourd’hui, elle est utilisée dans des manifestations. Malgré lui, SCH est devenu un symbole de lutte. « La phrase est mythique. Elle a eu un gros impact sur moi. Je ne l’ai pas pris comme un manque de respect, mais plutôt comme une motivation. On a tous eu cette même pensée : “venez on essaye de se lever pour autre chose que 1200 ou 1400 euros » », poursuit Nico Colombien.

Hormis quelques titres, A7 n’a pas pris une ride. Un exploit, à l’ère du streaming. « SCH n’a pas fait un album à la mode de 2015. Il était dans une démarche de faire du rap français. La preuve avec « Fusil ». Il n’y a pas plus rap français qu’un piano-voix. Le disque n’est pas calqué sur les Américains. C’est pour cette raison qu’il vieillit bien », souligne Zeg P.
SCH n’a pas fait un album à la mode de 2015. Il était dans une démarche de faire du rap français.
Il y a aussi eu un avant et un après A7. Si SCH a changé le visage du rap français, il n’a jamais été recopié. C’est impossible d’imiter l’artiste phocéen ou d’avoir une proposition similaire, au risque de tomber dans la parodie. En revanche, SCH a décomplexé de nombreux rappeurs sur le plan de l’imagerie, à l’instar de PNL. S’il est difficile de citer des noms, son influence dans ce domaine est indéniable.
Contrairement à ce qui a pu être affirmé, A7 a seulement été certifié disque de diamant le 15 septembre dernier. Pour les albums antérieurs à 2016, les certifications ne sont pas automatisées (dans le souci d’éviter d’éventuels doublons ou incohérences). « Cette modification substantielle de méthodologie nous a conduit à mettre en place une procédure de certification ad hoc pour ces projets, à la demande des labels et des distributeurs concernés », développe Alexandre Lasch, directeur général du SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique).
Une malédiction, plus qu’une bénédiction ?
Pour beaucoup de fans, A7 reste le sommet de la discographie de SCH. Un amour démesuré qui a des conséquences sur chaque sortie du S, inévitablement comparées à ce coup d’éclat. Le rappeur marseillais doit vivre avec A7 au-dessus de sa tête. « Je ne prendrai jamais A7 comme une malédiction, du genre premier album classique qui m’a crispé le reste de ma carrière. C’est uniquement pour les puristes que A7 restera indépassable », livrait-il à l’Abcdr du son en 2018.
Au contraire, SCH peut se vanter d’avoir créé un classique dès le début de sa carrière. Peu d’artistes peuvent en dire autant.
C’est l’homme du peuple. Si A7 est un projet légendaire, c’est parce que SCH est trop fort.

Vous l’aurez compris, A7 n’est pas seulement une mixtape, mais une pierre angulaire du second âge d’or du rap français. Avec son écriture obscure, son univers visuel et son intensité émotionnelle, SCH a imposé une signature unique. « Il a prouvé qu’un mec “décalé” pouvait réussir. Après, il ne l’était pas dans les propos, car il touche tout le monde : les banlieues comme les pavillons. C’est l’homme du peuple. Si A7 est un projet légendaire, c’est parce que SCH est trop fort. Il y a beaucoup de choses qu’on lui enlève », conclut Zeg P.
Dix ans plus tard, le voyage continue sur l’A7 et personne ne veut descendre.