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Jul, un héritage pluriel dans le rap français 

Jul, un héritage pluriel dans le rap français



Enfants, parents, grands-parents : il est impossible d’être passé à côté du phénomène Jul. Que ce soit en 2014 lorsque le rappeur marseillais s’est révélé aux yeux du grand public avec l’album Dans ma paranoïa ou en 2025 en remplissant le Stade de France et le Vélodrome. Omniprésent dans l’actualité ces dernières semaines, Jul récolte les fruits d’un travail de fond amorcé dès son adolescence. À l’instar d’Aya Nakamura, Jul a été victime d’un symptôme de rejet, puis de mépris de classe et culturel. Ils ont tous les deux fini par conquérir la France à coups de succès et de tubes. 

Guidé par une passion obsessionnelle pour la musique et une sérénité indéfectible face aux obstacles, il prolonge constamment l’apogée de sa carrière. Qu’on parle de volume, d’impact culturel ou de longévité, Jul s’est forgé une place historique dans le panthéon du rap français. Il est l’un des rares à avoir réconcilié des générations entières, sans jamais trahir sa formule de départ. En plus de 10 ans de carrière, Jul a déjà laissé un impressionnant héritage. Analyse. 

La création du type Jul

Aujourd’hui, Jul fascine et influence à tous les niveaux. C’était loin d’être le cas aux prémices de son aventure musicale. À son arrivée dans le rap français, Jul était perçu comme un véritable ovni, avec tout ce que cela implique de positif… comme de négatif. Pour l’époque, sa proposition était novatrice et a dérouté de nombreux auditeurs. « Quand Jul a débarqué dans le rap français, il y avait certains codes à ne pas bousculer. Son style vestimentaire et sa coupe de cheveux étaient surprenants », confie Ismaël Mereghetti, journaliste et auteur. 

Au fil des années, Jul capte l’attention du public grâce à des sonorités nouvelles et une utilisation exacerbée de l’autotune. À tel point qu’un mot est rapidement posé pour définir son style de musique : le type Jul. Une grande première dans l’histoire du rap français. « Il y a un avant et un après Jul par rapport aux compositions, au BPM et à l’usage du vocodeur. Le fait d’avoir un type beat Jul et un style reconnaissable, c’est quelque chose de puissant. On peut comparer ce phénomène à ces marques qui deviennent des noms communs comme Kleenex et Sopalin », explique Tarik Chakor, maître de conférences à Aix-Marseille Université et co-fondateur de La Firme, agence spécialisée dans la mise en relation et l’accompagnement des artistes et des marques. 

Pour les non-initiés, le type Jul se caractérise par un BPM (ndlr : battement par minute) rapide et entraînant (entre 95 et 110), inspiré du funk, du reggaeton et de la trap. Les mélodies peuvent être aussi bien solaires que mélancoliques, avec une rythmique épurée laissant toute la place à sa voix.

« Il y a un avant et un après Jul par rapport aux compositions, au BPM et à l’usage du vocodeur. »

Tarik Chakor

Une hyperproductivité singulière

Depuis ses débuts, Jul a publié 33 longs formats avec un rythme effréné de deux à trois albums par an. À force de proposer massivement de la musique depuis sa bulle créative, Jul réussit à conquérir aux forceps la France entière. Sa personnalité a achevé de convaincre le public. « On a tous, à un moment donné, été séduits par un morceau de Jul. Si on nous avait dit en 2014 qu’il deviendrait une figure incontournable du rap français en 2025, peu de gens l’auraient cru. Je tiens à souligner que s’imposer de cette manière, c’est très fort. Il ne le doit qu’à lui-même », poursuit Ismaël Mereghetti.

Avec une stratégie basée sur le volume et la régularité, Jul a eu un impact profond sur l’ensemble du rap français. Il a changé les normes et créé de nouveaux standards. Aujourd’hui, un rappeur ne peut quasiment plus se permettre une inactivité prolongée de plus de deux ans. « À un moment donné, tous les rappeurs voulaient sortir rapidement de la musique à cause de Jul. Alonzo avait parlé publiquement de publier un projet tous les 6 mois. Aujourd’hui, pour un artiste absent depuis un an ou 18 mois, on parle d’un retour. Avant, c’était au bout de 2 ou 3 ans », constate Florian Lecerf, fondateur de l’agence d’accompagnement d’artistes 135 MÉDIA

Les répercussions de cette folle productivité peuvent être perçues à la fois comme positives et négatives. Une partie des fans est satisfaite d’écouter régulièrement de nouveaux morceaux de leurs artistes favoris, tandis que d’autres pointent du doigt ce rythme de production soutenu. Avec l’avènement du streaming, les auditeurs se noient sous les sorties musicales chaque vendredi. Et Jul n’y est pas pour rien. « Sa productivité ne me permet pas d’écouter en profondeur chaque album. Je sélectionne certains morceaux pour ma playlist. C’est compliqué d’être attentif sur tous les titres. Je pense que beaucoup de personnes abordent ses albums de la même manière. On picore du Jul à chaque projet », révèle Ismaël Mereghetti. 

📸 : @lou_bet , @samirbouadla

« On a tous, à un moment donné, été séduits par un morceau de Jul. Je tiens à souligner que s’imposer de cette manière, c’est très fort. Il ne le doit qu’à lui-même »

Ismaël Mereghetti

Une influence internationale

Jul est devenu incontournable dans l’Hexagone, mais pas seulement. Son influence dépasse les frontières tricolores pour s’étendre chez les voisins européens. « J’ai conscience que mon style de musique s’exporte. Je vais essayer d’aller tamponner mon style », racontait Jul en décembre 2022 chez Clique

Ainsi, ils sont plusieurs à reprendre les codes du rappeur phocéen. Le plus connu de tous est Morad, avec qui il a collaboré à plusieurs reprises (« Se Grita », « La street », « Europa » ou encore « Vatos Locos »). L’artiste hispano-marocain n’a jamais caché l’influence que Jul exerce sur sa musique. On peut également citer Rhove en Italie, Haaland936 en Allemagne, Boef aux Pays-Bas et A36 en Suède. 

Une preuve supplémentaire d’un héritage déjà bien ancré à l’international.

Le numéro 10 du rap français

Dans sa bulle au début de sa carrière, Jul s’est progressivement ouvert aux collaborations pour en faire l’une de ses principales forces. « Quand il a commencé à collaborer avec des têtes d’affiche, puis à initier des projets fédérateurs comme Bande Organisée, Jul a pris une aura. Le public aime voir des ponts se créer entre les générations, et quand on rend hommage au rap. Il est devenu le numéro 10 du rap français. Il n’a pas d’ennemis. C’est une personnalité attachante », développe Ismaël Mereghetti. 

Avec des projets comme 13 Organisé (2020) et Classico Organisé (2021), Jul devient le liant du rap français, particulièrement de la scène marseillaise. Il a su redonner un second souffle, des années après l’âge d’or d’IAM ou encore de la Fonky Family. De nombreux artistes locaux (Alonzo, Soso Maness, Naps etc.) ont profité de la dynamique pour émerger ou se relancer. D’autres comme SCH sur « Bande organisé », ont pu élargir leur palette technique. Grâce à Jul, ils ont tous eu un terrain de jeu plus vaste pour s’exprimer. « Jul laissera comme héritage d’avoir su fédérer tout le rap marseillais. C’est impressionnant ce qu’il a accompli. Jul est LA figure du rap phocéen, respectée par tout le monde. C’est le maire de Marseille actuellement », observe Florian Lecerf. 

En quelques années, Jul s’est imposé comme LA figure de Marseille. L’exemple le plus parlant est celui de la vasque olympique à l’été 2024. Qui d’autres que le J pour accueillir la flamme olympique à Massilia ? « C’est le Johnny Hallyday contemporain. Son héritage s’observe autant au niveau musical qu’à sa manière de vivre la célébrité », ajoute Tarik Chakor, auteur du Dictionnaire critique sur Jul, disponible le 29 octobre prochain. 

📸 : Thibaud Moritz/ABACAPRESS.COM

« Jul est LA figure du rap phocéen, respectée par tout le monde. C’est le maire de Marseille actuellement »

Florian Lecerf

Redéfinition de l’indépendance dans le rap

Au-delà de l’impact musical, l’héritage de Jul se mesure aussi à sa manière d’avoir réussi en indépendant. Au même titre que PNL et Djadja & Dinaz, il a prouvé que c’était possible de cartonner sans dépendre totalement des maisons de disques. « D’un point de vue business, Jul a amené l’indépendance à un autre niveau dans le rap français. Il revendique son indépendance, tout en étant reconnaissant d’être accompagné par sa maison de disques. Il garde le pouvoir décisionnel sur sa musique et possède ses masters, mais il est aidé. PNL, eux, sont plus radicaux », indique Florian Lecerf. 

📸 : @lou_bet , @samirbouadla

En résumé, Jul possède son propre label avec D’or et de Platine, tout en s’appuyant sur Believe pour la distribution et le marketing. Fait intéressant : Jul n’a pas de manager attitré, mais un avocat qui supervise l’ensemble de ses activités.

Autre élément clé : le développement de sa marque D’Or et de Platine. À travers les différentes boutiques éphémères ouvertes à Paris et Marseille, Jul propose des produits dérivés à des prix abordables. Par exemple, on peut y retrouver des t-shirts entre 20 et 35 euros, des casquettes à 30 euros, mais aussi un pack « CD + t-shirt » à 25 euros. Lors de sa collaboration avec Asics en 2020, Jul a choisi de distribuer lui-même les produits via son propre site, afin de récupérer la part habituellement destinée aux distributeurs. Un geste fort sur le plan entrepreneurial, qui pourrait inspirer les futures figures du rap français. « Quand Jul collabore, il va chercher des marques grand public comme Oasis ou Asics. Il ne cherche pas à s’élever socialement à travers elles », poursuit le fondateur de 135 MÉDIA.

📸 : Delphine Goldsztejn / Le Parisien

Quel avenir ? 

Après avoir battu le record d’affluence du Stade de France, Jul s’apprête à enflammer le Vélodrome de Marseille durant deux soirs consécutifs les 23 et 24 mai. Les billets se sont arrachés en quelques heures, à tel point que chacun peut considérer son ticket comme un véritable sésame. Cette demande extrême illustre à merveille le statut incontestable de Jul dans le rap français. Pas de quoi s’enflammer non plus pour le rappeur marseillais. « Jul ne pense pas à son héritage. Il fait ce qu’il aime, sans se soucier du reste. Il met l’avis de son public au-dessus de tout », glisse Tarik Chakor. 

Remplir des stades constitue l’ultime consécration pour un artiste. À ce niveau-là, Jul a clairement « fini le jeu ». La question mérite alors d’être posée : quel avenir pour le J ? L’artiste phocéen est habité par un feu de passion et de vie. Il est presque impossible de le voir baisser le pied lors des prochains mois. Créer de la musique semble vital à son équilibre personnel. « Jul n’a jamais forcé sa nature, donc il peut continuer longtemps comme ça », livre Ismaël Mereghetti. Une chose est sûre : Jul n’est pas dans la compétition avec les autres. Il suit son propre chemin et ce n’est pas près de changer.

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