Avec son premier album, Les Amants Terribles (disponible depuis le 18 avril), Tuerie explore l’amour dans sa forme la plus brute. Le membre de Foufoune Palace démaquille ses artifices pour révéler sa vraie nature avec les bons et mauvais côtés. Un projet dense, intime, traversé parfois d’élans poétiques. La sensibilité émotionnelle de Tuerie est illustrée par une multitude de sonorités (R’n’B, Soul, Rock, Pop etc.) et des productions inspirées. Le natif de Yaoundé ne délaisse pas pour autant ses racines de rappeur. Mais aujourd’hui, c’est par les mélodies qu’il exprime le mieux ses fêlures et ses vérités. Avec Les Amants Terribles, Tuerie offre un projet qui ne cherche pas la lumière, mais murmure aux creux de la nuit. Entretien.
Un mois après la sortie de Les Amants Terribles, as-tu digéré sa publication ?
Tuerie : Absolument pas (rires). Pour te dire, j’ai eu du mal à écrire le post de remerciements à la sortie de l’album. Je n’avais plus du tout de force. C’est ce qui se passe lorsque tu fais des choix aussi drastiques et radicaux au niveau de ta musique. En ce moment, on prépare aussi le live. On veut offrir un nouveau show au public. C’est important. Je suis obligé de me renouveler, mais ça demande énormément d’énergie. Jusqu’à présent, je n’ai pas encore eu le temps de savourer la sortie de l’album. Même les messages, aussi positifs soient-ils, sont très souvent chargés. Je vois comment ma musique résonne dans la vie des gens. J’ai l’impression que l’album est sorti hier. Dès que je sors, les gens m’abordent à ce propos. Et de plus en plus. C’est trop bien.
« Pour récupérer, il va falloir que je parte en vacances et c’est la première fois que ça m’arrive. C’est symptomatique de ma façon de travailler. Le rythme est constamment soutenu. Je suis tout le temps en studio. »
Avant de rentrer en profondeur dans l’album, je voulais évoquer ta productivité actuelle. Elle est particulièrement accrue avec de nombreux featurings (Jazzy Bazz, Jewel Usain, Luidji, Oxmo Puccino High Klassified, Danyl etc.), un EP intitulé Avant l’album et donc Les Amants Terribles. Pourquoi ce changement de cap alors que tu te faisais plutôt rare par le passé ?
T : Pour t’expliquer, la majorité de mon temps est coupé entre mon fils et le studio. J’y vais autant que certains à la salle de musculation (rires). Ça me permet de rester en forme et de combattre ma phobie de ne plus savoir écrire. C’est-à-dire aussi spontanément. Les featurings sont devenus des auditoires. J’arrête vraiment d’en faire pour le moment afin d’être plus précis à l’avenir.
Ça t’a coûté de réaliser des collaborations ?
T : Oui, ça coûte toujours. Quand tu y réfléchis, un featuring ce n’est pas juste un couplet. C’est tout un ensemble. Tu poses ton couplet en espérant que l’autre artiste soit satisfait, puis il faudra valider le mix. Une fois le morceau terminé, il voudra peut-être faire un clip… Après le clip, la personne voudra défendre au moins une fois le titre sur scène. C’est-à-dire que je vais devoir venir à la date et essayer d’apprendre les paroles (rires). Quand tu en fais une vingtaine comme moi, cela coûte du temps et de l’énergie. C’est une grosse charge de travail.

« Je suis obligé de me renouveler, mais ça demande énormément d’énergie »
Avec tes deux précédents projets (Bleu Gospel en 2021 et Papillon Monarque en 2023), tu as connu un succès critique, validé par le prix Joséphine. Avec ce premier album, as-tu des ambitions commerciales plus importantes ? Aimerais-tu t’affranchir de cette étiquette d’artiste au succès d’estime ?
T : C’est déjà super de sentir une vibe d’attention par rapport à ta musique. J’ai l’impression que l’on s’est donné les moyens de nos ambitions pour ce premier album. La DA (direction artistique, ndlr) est hyper léchée. On s’est fait plaisir. La voix off dans le projet est la voix française du chanteur/acteur Tyrese Gibson. Son premier film est Baby Boy (2001), un super classique dans les foyers afro-américains. Le personnage fuit ses responsabilités de couple et ses problèmes de vie. Il y a un côté miroir avec Les Amants Terribles. C’est pour ça qu’on est allé chercher sa voix française. Rien n’a été laissé au hasard. Il y a plein d’easter eggs dans l’album…
« On prend des risques et on débourse beaucoup d’argent pour que ça marche. »
Si les récompenses sont de jolies ventes, on ne dira pas non. L’album a le mérite de nous avoir fait passer un cap majeur. On prend des risques et on débourse beaucoup d’argent pour que ça marche. Si le succès d’estime se transforme en commercial, je serai le plus heureux de l’univers. En revanche, ce n’est pas notre fer de lance principal.
« Si le succès d’estime se transforme en commercial, je serai le plus heureux de l’univers »
Le premier extrait de l’album est « FLOP », dévoilé en avant-première sur le plateau de COLORS. As-tu apprécié cette expérience ?
T : On s’est déplacé à Berlin dans leurs locaux. Dans tes valises, tu arrives avec un mélange d’anxiété et d’excitation. Ma prestation était le matin. C’est la première fois que j’ai chanté aussi tôt (rires). Quand tu vois quels artistes sont passés par COLORS, tu es content de rejoindre ce cercle fermé. C’est vu comme un gage de qualité. C’était un vrai challenge.
Tu as réussi à faire un one-shot ?
T : Non, c’est impossible de réussir du premier coup. Tu es obligé de faire plusieurs prises pour t’adapter et prendre tes marques. Il s’agit de morceaux exclusifs, donc il faut apprendre à les maîtriser. Il ne faut pas oublier que c’est un show visuel également. J’ai fait 6 prises au total, dont 2 que j’aimais.
Dans Les Amants Terribles, l’auditeur passe par toutes les émotions avec un début assez festif et puissant, puis des morceaux kickés, avant de glisser doucement vers le plus sombre avec une fin plus ou moins triste. L’objectif était-il de bousculer et de confronter le public ?
T : Oui et non. Avec l’équipe, on a fait exprès de mettre un message de prévention à la fin de « Kobe ». Je voulais alerter le public quant à l’arrivée d’une seconde partie plus sombre et gênante de l’album. Ce n’est pas facile d’entrer dans le cœur d’un homme, et d’accéder à ses pensées les plus intrusives. Le but était de laisser le choix aux auditeurs. Mon objectif n’était pas de les choquer, mais d’être le plus sincère possible dans le propos.
« Ce n’est pas facile d’entrer dans le cœur d’un homme, et d’accéder à ses pensées les plus intrusives »
Les sonorités de l’album se veulent riches avec du R’n’B inspiré des années 2000, du Rap, de la Pop, de la Soul, du Gospel, de l’électro, mais aussi du Rock. C’est un véritable ouragan. Finalement, ce ne serait pas ça la musique de Tuerie : un mélange dense de tes multiples influences ?
T : Oui, complètement. Je suis d’accord. Le bon terme pour définir l’album, c’est du « R’n’Barz ». C’est du R’n’B avec de grosses lignes. Je n’ai jamais cessé de transpirer mes influences. Ma musique est vraiment celle d’un artiste qui n’a jamais choisi son courant. J’aime trop de choses pour me limiter. Je fais plus de 100kg. C’est impossible de m’enfermer dans une boîte mec (rires).
« On voulait faire un disque sur l’amour sans être chiant et redondant »
Justement, tu sembles toujours autant en quête de toi-même sur ce long-format. Qu’en penses-tu ?
T : Oui, carrément et il faut l’accepter. Se chercher n’est pas quelque chose de mauvais, bien au contraire. La parentalité me le prouve tous les jours. Mon fils me donne de grosses tartes. Toute notre vie, on sera en quête de réponses. C’est pour ça que l’on retrouve autant de questionnements dans ma musique. À l’avenir, je ne sais pas si j’aurai toujours l’envie d’être dans l’introspection. Je suis aussi doué pour écouter les gens. Quand je serai fatigué de raconter mon histoire, je me focaliserai sur celles des autres.
Sur cet opus, tu dévoiles clairement ton attrait pour le chant. Où as-tu appris à fredonner ?
T : Je chante comme un mec qui a appris avec les moyens du bord. C’est-à-dire que tu joues avec les révèrbes de ta salle de bain. Par le passé, j’ai chanté dans le métro donc j’ai appris à gérer la portée de ma voix. Pour gérer les harmonies, j’allais, entre midi et deux, à la chorale de l’école. J’étais nul au foot et je voulais impressionner les filles coûte que coûte. Comme j’étais un filou, je savais qu’elles étaient nombreuses dans la chorale. Si tu ne voulais pas avoir – 100 000 d’aura auprès d’elles, il fallait s’appliquer (rires). Je n’ai jamais pris de cours de chant, mais j’ai croisé le chemin de beaucoup de chanteurs. J’ai appris en regardant et en pratiquant. C’est vraiment la loi des 10 000 heures.

Les Amants Terribles n’est pas “album de love” classique. Tu y évoques l’amour sous toutes ses formes (sexe, couple, amitié, parentalité, trahison, etc.). Par exemple, tu racontes comment cela peut parfois virer à l’obsession avec des rapports de force et des rendez-vous manqués. Chaque morceau met en lumière une nuance différente. À quel point c’était complexe de puiser dans ton histoire personnelle pour toucher un maximum de personnes ?
T : Je n’ai pas travaillé l’album pour toucher un maximum de gens, mais surtout pour que le résultat final me plaise. Il fallait que je trouve ça génial dans un premier temps pour le livrer. C’est ma première règle en musique. Avec mon équipe, on voulait faire un disque sur l’amour sans être chiant et redondant. Cela a donné naissance à ces petites cellules comme la rédemption, l’amour-propre, les relations pansements ou encore les trahisons. Pour te répondre, c’était très compliqué d’arriver à ce résultat.
Penses-tu avoir fait le tour du thème qu’est l’amour pour les prochains opus ?
T : Non. L’amour est un sujet infini. C’est plus qu’une simple philosophie de vie. Tout ce que l’on fait est lié à l’amour. Je vais continuer de la chanter sous toutes ses formes, de la plus vaste à la plus simple.
L’album détient deux dualités intéressantes. Tu évoques des sujets profonds avec une voix aiguë et mielleuse. Surtout, tu dévoiles ta part d’ombre sur un projet avec une cover rose bonbon. C’était une vraie volonté de ta part de jouer avec ces contrastes ?
T : Oui, tu as tout compris. C’est un hommage à Mohamed Ali, fondateur de Foufoune Palace avec Luidji. Son rappeur préféré est Cam’ron de Dipset. Quand on était enfants, c’est lui qui a fait comprendre au monde à quel point c’était cool de porter du rose. Cela ne faisait perdre en rien à ta virilité. Le rose incarne aussi les sentiments amoureux et la non-perfection qui va avec. Ce n’est pas le rouge et donc l’amour dans sa forme la plus pure.
Peux-tu me raconter l’histoire du morceau « Bruno » ? Sur ce titre, tu restes subtile afin d’aborder une thématique complexe : les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes.
T : Le but était d’exposer ces personnes qui ont un comportement déviant et d’offrir une clé de compréhension de « Maître nageur ». On pourrait croire que ce type de morceau est ma marque fabrique (ndlr : il a fait « Tiroir Bleu » dans le même genre). Je raconte souvent des choses graves sur des sonorités dansantes. Un peu comme un humoriste qui fait des blagues sur des sujets complexes. Les prods permettent de faciliter le propos. Cela te donne la force d’écouter le titre. AAyhasis et Astronote ont composé « Bruno ». Par le passé, ils ont travaillé avec Kendrick Lamar. Tout s’est fait naturellement. Ils avaient le savoir-faire pour me faire assumer un morceau aussi difficile.
C’est une chose qui relie mes artistes favoris entre eux. J’aime ceux qui se veulent mélancoliques, sans forcément te donner envie de te tirer une balle. Tout est bien fait pour que l’auditeur puisse accueillir le propos.
Pour répondre à ta question, j’étais obligé de marcher sur des œufs pour évoquer un tel sujet. C’est inspiré de faits réels. Il faut respecter les victimes et avoir le plus grand tact de l’univers. Je ne suis pas fan des artistes qui veulent absolument retourner le bide pour retourner le bide. La cause en question méritait d’avoir un morceau juste. Je fais très attention quand j’écris ce type de titre. Quand je rentre en cabine, j’ai l’impression d’avoir les images avant les mots.
Sur « Troll », tu fais une analyse intéressante à propos de l’adultère. Malgré nous, on deviendrait ce qui nous a fait tant souffrir par le passé.
T : Il y a toujours quelqu’un qui te transforme en un monstre, un peu comme les vampires. Une fois que tu as été mordu, tu dois faire pareil pour survivre.

Sur « Boulbi State Of Mind », voulais-tu rappeler tes talents de kickeur ?
T : C’est le premier titre que l’on a créé de l’album. Son positionnement dans la tracklist n’est pas anodin. Il arrive tard dans l’écoute, car il sert de sas de décompression. Juste avant, l’auditeur a pris des coups de massue avec « Bruno » et « Maître nageur ». « Boulbi State Of Mind » permet de respirer avec un BPM long. Je voulais qu’on ait l’impression de courir. Et pour te répondre, je casse des gueules quand je le veux. Je n’ai rien à prouver.
Sur Instagram, tu as écrit : « Les Amants Terribles, c’est croire aux promesses planquées dans les rêves de gosses qu’on a depuis des années avec Luidji ». Tu as réalisé tes rêves avec cet album ? Si oui, lesquels ?
T : On est en plein dans ce qu’on a toujours rêvé d’accomplir. C’est dommage que l’on ait trop la tête dans le guidon pour profiter de l’instant présent. On ne se met jamais en pause. Par exemple, avec Luidji, on avait assisté en juin 2012 au concert de Jay-Z et Kanye West à Bercy. On y avait cassé un strapontin tellement on était excité. À la fin du show, Luidji m’avait attrapé le col pour me dire : ‘je te jure que l’on fera pareil plus tard‘. Après une tournée des zéniths, on est arrivé à Bercy. C’était presque trop petit car l’appétit vient en mangeant. Tu es toujours à la recherche de ces émotions.
Comme toujours, tes projets sont très personnels. Je suppose que cela doit être compliqué de convier un artiste dans ton univers. C’est pour cette raison que Luidji n’est jamais encore apparu dans tes longs formats ?
T : Oui, c’est ça. Le propos est trop introspectif. Pour le coup, Luidji aurait pu être présent sur l’album. Pour être franc, il existe une version de « Maître nageur » avec lui. Ça n’a pas pu se finaliser par manque de temps. Surtout, on souhaite que chaque sortie soit parfaite.
Tu as récemment annoncé une grosse date : ton premier concert solo à l’Olympia le 14 mai 2026. Que représente cette salle pour toi ?
T : C’est un cadeau pour ma mère et le jeune Tuerie. La plupart de mes héros ont foulé ces planches mythiques. Ça fait aussi du bien au public de soutenir un bonhomme qui passe des caps au fil du temps. On parle des lettres rouges. Ça veut dire quelque chose. C’est à notre tour de marquer l’histoire de cette salle. Je veux la transformer comme jamais auparavant. C’est un beau challenge. On aurait pu proposer une date dans quelques semaines, mais le concert n’aurait pas été révolutionnaire. Je refuse de négliger le public.
Une tournée est-elle à prévoir également ?
T : Oui, c’est dans les tuyaux. Je veux laisser les gens digérer l’album avant d’annoncer des dates partout en France.
Merci Tuerie.
T : Merci à toi.
Propos recueillis par Curtis Macé