Alors qu’il va fêter ses 30 ans de carrière, Alonzo vient de sortir son dernier album Longue vie à nous. Booska-P s’est rendu à Marseille pour discuter avec l’un des artistes les plus importants du rap français. Un shooting à la Cité Radieuse – Le Corbusier, qui surplombe le stade Vélodrome qui s’apprête à célébrer l’un de ses enfants l’été prochain. Entretien.
Ça fait 25 ans de carrière, près d’une douzaine de projets solos déjà à ton actif. Comment tu expliques que tu as toujours cette même faim, celle d’un newcomer ?
Moi je pense que c’est tout simplement la passion. Je suis d’une génération où hormis la passion, le plaisir de chanter, il n’y avait pas grand chose. Il ne fallait pas compter sur la musique pour s’en sortir dans la vie. Donc si tu n’étais pas un passionné, tu ne pouvais pas faire tous ces sacrifices, toutes ces heures au studio de répétition…

Quelle est la motivation aujourd’hui qui te pousse à continuer ?
Moi ce qui m’anime à l’heure d’aujourd’hui c’est la passion et la compétition. À chaque album je me dis qu’est-ce que musicalement je vais apporter de plus ? Comment je vais encore me surprendre et surprendre les gens qui m’écoutent. Et même les gens qui ne m’écoutent pas, parce qu’un morceau peut toujours t’accrocher.
Depuis quelques temps, on a toujours un tube d’Alonzo qui tourne presque chaque année, on se demande presque si tu as trouvé la recette pour durer aussi longtemps…
Tu sais on essaie tous de faire nos calculs, on essaie des choses, d’avoir la bonne recette, mais je te jure que c’est le destin, c’est le feeling, c’est le timing. Il y a des fois où je mise sur un cheval et c’est un autre qui gagne la course. Mais tous les morceaux sont faits avec patience. Même si c’est des morceaux ego-trip, ou des morceaux on va dire un peu plus sales (rires), ou des morceaux plus mélancoliques, ou festifs… Tous les morceaux sont faits avec amour surtout.

Est-ce qu’on s’habitue au succès ? Dans cet album, on sent quelqu’un de torturé malgré la réussite…
Ouais, je suis torturé clairement… Je suis torturé par la musique et je sais les sacrifices que j’ai donné pour ce rap. Dieu remercie, je n’ai pas oublié de vivre.
C’est à dire ?
Je m’explique : je n’ai pas oublié d’avoir fait des enfants, je n’ai pas oublié d’avoir pris soin des miens, parce qu’il y a des artistes qui donnent tout à la culture et ils arrivent à la trentaine, à la quarantaine et malheureusement ils ont oublié de vivre. Mais quoi qu’il en soit, pour ma part, vu que j’en veux toujours plus, je ne m’habitue pas au succès. Quand je fais un single de Diamant par exemple, je me dis que j’aurais pu en faire un double, voire un triple. Je ne m’habitue pas au fait qu’on me reconnaisse dans la rue, alors que je suis à l’aube de faire mon premier stade Vélodrome.

Justement tu te sens comment par rapport au plus grand concert de ta carrière, le stade Vélodrome ?
On a déjà pensé avec les scénographes parce que je compte bien donner le plus grand spectacle de ma vie. Aujourd’hui je sais à quoi la scène va ressembler, je sais à 90% à quoi m’attendre, je suis déjà très excité mais je t’avoue que c’est encore un peu loin. Il y a un album dont il faut soigner la sortie.

Dans cet album, tu revendiques encore un plus ton ADN quartier, celui du plan d’Aou (quartier de Marseille), quitte à te réaopprier l’expression ‘rap de chicha’…
Les chichas, c’était les seuls endroits on pouvait se retrouver et écouter du son. Les rebeus, les renois… On a toujours eu du mal à rentrer en club. Ça voudrait dire qu’il faudrait que j’aie honte ? J’assume le quartier et on est fier de ce qu’on est. C’est comme si c’était péjoratif de faire du rap de quartier. Mais le rap, il vient d’où ? Peut-être qu’il vient de Versailles, peut-être que j’ai loupé quelque chose ? Bref.
Est-ce que, là aujourd’hui, tu peux te dire que tu es dans la forme de ta vie ?
Ça frérot, c’est au public de le dire, moi je me sens bien, tu sais, je ne me mens pas à moi-même. Mon niveau rapologique frérot, je le connais.
Je suis à l’aise avec ce qui se fait, je te mens pas, mais je te dis que c’est le début de la fin. C’est quelque chose que j’ai répété souvent, je trouve que c’est une musique générationnelle… J’ai commencé à l’âge de 12 ans, j’ai 42 ans. Cette année ça fait 30 ans que je rappe. Combien de rappeurs n’étaient pas nés, combien sont partis ?

Dans cet album, on sent aussi un peu de paranoïa, face au contexte de la célébrité. Comment tu te situes par rapport à tout ça ?
Quand tu es dans la cité, tu as un milliard d’amis… Il faut essayer de se protéger, d’être entouré de bonnes personnes, avoir les pieds sur terre et un coup d’avance. Et même quand tu as tout ça, des fois, il peut t’arriver des trucs. Je suis très croyant, je suis en paix avec moi-même. J’essaye de fortifier ma foi, d’être moins bête que la veille. Aujourd’hui, je suis devenu casanier, je traine avec mes fils.
Direction artistique : Noemi Bonzi
Photographe : Nicolas Babin
Chargée de production : Léna Bois
Remerciements : La fondation Le Corbusier