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JVLIVS III : le poing final de SCH

JVLIVS III : le poing final de SCH

Six ans après la publication du premier tome, SCH clôture ce vendredi l’un des plus beaux chapitres de sa carrière avec JVLIVS III : Ad Finem. Quel impact a eu cette saga unique en son genre dans le rap français ? Éléments de réponse.

Le Rap à la Scorsese

Le 19 octobre 2018 est marqué au fer rouge dans l’histoire du hip-hop tricolore : SCH inaugure le premier opus des JVLIVS. Il n’est pas encore question de saga, car le quatrième album de sa discographie sort dans un contexte particulier. À cette époque, le rappeur marseillais vient tout juste de fonder son propre label avec Maison Baron Rouge en licence chez REC 118.

Surtout, SCH est englué dans une bataille infinie afin de se détacher de l’immense succès de A7 (2015). L’ombre de ce classique a fortement déteint sur les sorties de Anarchie (2016) et Deo Favente (2017). Bien que de très bonnes factures, les deux projets n’ont pas permis au S de tourner la page de sa première œuvre d’art. 

Ainsi, JVLIVS voit le jour après un an et demi d’absence, une éternité dans la carrière de SCH. À la surprise générale, l’album est plus qu’un simple projet de musique. JVLIVS trouve son équilibre entre la fiction et la réalité. Julien Schwarzer de son vrai nom se scinde en deux personnalités distinctes : SCH, l’artiste et Giulio, le gangster. « La saga JVLIVS est à l’origine du retour du storytelling dans le rap français. À cette époque, il est en train de devenir une superstar. Qu’il parvienne à confirmer avec un album concept, c’est trop fort », confie Sandra Gomes, journaliste pour Le Code et cheffe rubrique Musique chez Konbini.

« La saga JVLIVS est à l’origine du retour du storytelling dans le rap français. »

Sandra Gomes, cheffe rubrique Musique chez Konbini.

Avec JVLIVS, premier du nom, SCH offre un véritable film auditif à ses fans où s’entremêlent sa passion pour le cinéma, le grand banditisme, la ville de Marseille et la culture italienne. La musique se retrouve au service de l’image. « JVLIVS, c’est une histoire précise, un environnement défini et un côté cinématographique affirmé. C’est un album qui va au bout de la fonction d’un album. C’est unique comme proposition », poursuit Sandra Gomes.

Ce parti-pris se transforme rapidement en un succès éblouissant (l’album est actuellement certifié double disque de platine, soit plus de 200 000 ventes). La raison ? L’authenticité et la cohérence du récit. La frontière se veut très fine entre la vie de SCH et le personnage de Giulio. Ce dernier connaît la gloire, les succès, les blessures familiales et les désillusions comme son interprète. L’introspection est également au centre des lyrics. La seule différence entre les deux hommes se situe sur leur profession, diamétralement opposée. 

Le storytelling est poussé aux extrêmes avec les interludes écrites par Furax Barbarossa et narrées par la voix française d’Al Pacino, José Luccioni mais aussi avec les sonorités méditerranéennes et froides de Guilty. « JVLIVS est une œuvre globale qui a marqué son époque. L’image est travaillée au millimètre près. En termes d’écriture, SCH se sublime. Surtout, il parvient à nous faire entrer dans le storytelling. Par le passé, il y a déjà eu des partis pris dans le rap français, mais SCH est celui qui est allé le plus loin », détaille Shaz, producteur ayant travaillé avec SCH (“Le code” sur JVLIVS et “Plus rien à se dire” sur JVLIVS II), Damso ou encore Kalash. 

« JVLIVS est une œuvre globale qui a marqué son époque. »

Shaz, producteur.

Une franchise avec ses suites

Après le succès d’estime et commercial de JVLIVS, SCH s’offre une bouffée d’air frais avec la rafraîchissante mixtape Rooftop (2019) et sa participation dans le 13 Organisé (2020) aux côtés de JuL. Des projets qui lui permettent de recharger les batteries avant de se lancer de nouveau dans l’univers sombre et atypique de Giulio. Avec JVLIVS II, SCH intègre le cercle fermé des gros vendeurs du rap français (64 000 ventes en première semaine) et passe un cap. Le natif de Marseille a affiné sa recette basée sur des textes mûrs, à mi-chemin entre le fictif et la biographie, pour la rendre plus accessible et efficace. À ce moment précis, SCH n’a jamais été aussi populaire.

Pour la première fois, la saga fait face à de vives critiques. De nombreux auditeurs regrettent l’ouverture musicale du projet, notamment le featuring avec Jul et donc le non-respect de l’ADN de JVLIVS. « JVLVIS II n’a pas été apprécié à sa juste valeur. SCH a deux publics : ceux qui attendent les morceaux rap qui le caractérisent et ceux qui vont attendre les tubes. Ça crée une scission dans son public. C’est difficile d’allier le côté mafieux et solaire dans un même album. C’est le revers de la médaille », regrette Sandra Gomes. Un avis partagé par Shaz. « Le deuxième est aussi bien que le premier, mais entre-temps, nos oreilles se sont habituées. L’effet de surprise n’était plus le même et nos attentes étaient à la hausse. » 

« Ça crée une scission dans son public. C’est difficile d’allier le côté mafieux et solaire dans un même album. »

Sandra Gomes.

Comme avec Rooftop, SCH se régénère et expérimente grâce à la parenthèse Autobahn (2022). Mal-aimé, le projet permet malgré tout au S de sortir d’un univers cinématographique codifié et restreint, mais aussi de se diversifier. Cette évolution se confronte à la radicalité de ses débuts. Très tôt, SCH avait affirmé qu’il ne ferait jamais de “zumba”.

Conclure la saga de la meilleure des manières

Conçue comme une trilogie, la saga JVLIVS est devenue au fil des années une franchise à part entière. Le préquel a définitivement fait entrer la série dans le panthéon du rap français comme l’une des plus rentables. Encore une fois, le succès a été au rendez-vous (42 000 ventes en première semaine et un disque de platine en seulement 4 mois pour JVLIVS Préquel). « La saga est en train de devenir iconique. C’est une œuvre importante pour tous les fans de rap français. Les opus JVLIVS font partie de la pop culture à présent », affirme Shaz. 

JVLIVS ne semble pas avoir d’équivalent, bien que l’on puisse citer les NQNT de Vald, La vie augmente de Isha, M.I.L.S de Ninho ou encore Or Noir de Kaaris. SCH a réussi l’exploit de se renouveler dans un univers aussi fermé que JVLIVS. « Quand on évoque les différents albums de la saga, on parle de tomes. C’est quelque chose de fou alors que ça reste de la musique et non de la littérature », constate le beatmaker. 

Seulement sept mois après la publication du préquel, SCH a une nouvelle fois pris tout le monde de court avec l’annonce de l’ultime tome : JVLIVS III : Ad Finem. Giulio tire sa révérence, tandis que SCH va devoir affronter l’héritage de sa création. Pour la suite, l’artiste semble avoir besoin de plus de simplicité et de naturel. « C’est un choix surprenant qu’il se laisse tenter par un rush de fin d’année. Les récentes histoires extra-musicales autour de lui ont sûrement eu un impact là-dedans. J’espère qu’on aura des explications de sa part dans le prochain album. C’est important de savoir comment il va. S’il y a un rappeur où il faut suivre les paroles, c’est bien SCH », glisse Sandra Gomes. 

Il ne fait aucun doute sur le fait que SCH parviendra à survivre à la fin de JVLIVS, de la même manière qu’il a su gérer l’ombre oppressante de A7. Il faudra pour cela se réinventer une énième fois, entretenir ses ambitions et surprendre son public. Une mission à la hauteur de son talent. Ce vendredi 6 décembre, une des plus belles pages du rap tricolore se tourne afin de célébrer la mort de Giulio et l’album d’une vie pour SCH.

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