Le 28 juin, Karmen, a publié Motel Studio 2, un an après le premier opus. Ce nouvel EP de quatre morceaux conclut la série avec pour objectif de satisfaire les fans de l’artiste pour l’été, avant de passer aux « choses sérieuses ». Car oui, après plus de 10 ans de carrière, Karmen est bientôt prêt à envoyer « l’album de sa vie ». Le rappeur grenoblois s’est enfin trouvé artistiquement, en puisant dans ses racines espagnoles et en magnifiant son savoir-faire des toplines. Booska-P est parti à la rencontre de Karmen afin de décrypter le projet et d’évoquer la suite.
- Curtis Macé : Tu as annoncé le 28 octobre 2022 ton changement de nom de scène, passant de Tortoz à Karmen, prénom de ta grand-mère. Est-ce un choix dont tu es fier aujourd’hui ?
Karmen : Oui, absolument. J’en suis très content. Ça a déjà beaucoup servi à ma carrière. Le nom est mieux et plus vendeur. Il me détache de mes vieux démons. Je voulais repartir sur un nouveau chapitre de ma vie. Ça faisait aussi trois ans que j’étais absent, donc c’était le moment idéal pour faire cette annonce. Tout s’est fait naturellement. Le déclic a eu lieu quand j’en ai parlé à mon équipe. Je ne fais rien seul. Si je travaille avec des gens, c’est à 100%. À la base, c’était juste une idée, je ne pensais pas aller au bout de la démarche. Ils ont tout de suite adhéré. On a bien amené le truc avec de bons projets et de bons morceaux.
On était persuadé que « Caprice » allait fonctionner comme single de retour avec Karmen. Le titre a été une superbe rampe de lancement. Malgré le fait qu’on ai dû recréer une page Spotify, c’est mon morceau le plus streamé en prenant en compte l’époque Tortoz.
- CM : Penses-tu que le public a bien intégré ce changement de nom de scène ?
K : Pour te dire, il m’arrive des fois de taper Tortoz sur Twitter. Je ne trouve rien de nouveau lié à ce nom. On a réussi notre coup. Comme j’ai été absent plusieurs années, certaines personnes m’ont redécouvert. On m’a même placé dans des playlists « Next Gen » (ndlr : nouvelle génération). C’est vraiment une bonne chose. L’avantage était que je n’étais pas encore assez installé dans le rap français en tant que Tortoz. C’est plus simple de repartir sur une feuille blanche. Si SCH décide de changer de nom, ça risque d’être compliqué (rires).
- CM : On t’appelle encore par ton ancien nom dans la rue ?
K : Dans la rue, on m’appelle essentiellement Karmen. Seuls mes proches me nomment Tortoz, car toute leur vie, ils m’ont appelé comme ça. En interview, ils vont tous faire l’effort de dire Karmen.

- CM : Avant d’évoquer en profondeur Motel Studio 2, peux-tu m’expliquer le concept de Motel Studio ? J’ai l’impression que cette série d’EP’s est un moyen pour toi de relâcher la pression, d’expérimenter et surtout de t’amuser. Es-tu du même avis ?
K : Oui, carrément. Pour t’expliquer, ça fait trois ans que je travaille sur un album. Il y a une DA prononcée à respecter (ndlr : direction artistique). Tous les morceaux ne peuvent pas rentrer dans la tracklist, même s’ils sont bons. Dans ce sens, on a commencé à accumuler des titres non-compatibles avec l’album. Avec mon équipe, on a directement pensé à sortir deux EP’s qui ne forment qu’un. Je voulais aussi donner de la musique à mon public pour l’été. Malgré tout, les morceaux conservent une cohérence car je me suis trouvé en tant qu’artiste. Je sais ce qui me convient le mieux. Je connais ma couleur musicale.
Ces dernières années, j’ai eu la chance de beaucoup voyager. Je me déplace partout avec mon studio. Chaque morceau a été créé dans des hôtels, d’où le nom du projet. On a voulu conserver ce côté organique qui est précieux dans la musique. Ce n’est pas parce que tu vas louer un studio à 100 euros de l’heure que le son va être fou. Le délire Motel Studio, c’est faire de la musique où on est, comme les ricains et collaborer.
« Les morceaux conservent une cohérence car je me suis trouvé en tant qu’artiste. Je sais ce qui me convient le mieux. Je connais ma couleur musicale. »
Karmen

- CM : Récemment, tu as déclaré sur Twitter qu’il n’y aurait pas de Motel Studio 3. Pourquoi ?
K : On avait prévu notre coup pour huit morceaux et pas plus. Sur les covers des Motel Studio, on aperçoit un hôtel avec huit fenêtres en référence aux huit titres. Dans le volume 1, quatre d’entre elles sont ouvertes en plein jour. Quant au second opus, elles le sont toutes.
- CM : Quels retours avais-tu eus du premier opus sorti en juillet 2023 ?
K : Je ne m’attendais à rien et on a eu que des bons retours. À mon échelle, le projet a grave tourné.
- CM : Quelles sont tes ambitions avec Motel Studio 2 ?
K : Je veux que ça marche, mais je n’ai pas de stratégie précise. Si ça prend tant mieux, sinon ce n’est pas grave, on aura l’album après. Pour te dire, je préfère Motel Studio 2. Je trouve le premier un peu en dessous du second, même si les featurings sont très cools. Sur Motel Studio 2, on s’est pris plus la tête.
- CM : Combien de morceaux as-tu conçu pour ce projet ?
K : Il y a une cinquantaine de titres non sélectionnés pour l’album. On a pioché dans cette liste pour former Motel Studio et avoir une cohérence artistique. L’objectif était aussi d’expérimenter comme sur le reggaeton « CUANDO BAJA EL SOL ».
- CM : Les quatre morceaux de Motel Studio 2 ne dépassent pas les trois minutes. T’es-tu adapté au mode de consommation actuelle de la musique ?
K : Non, même pas. Pour être honnête avec toi, les longs morceaux me font un peu chier (rires). Je ne suis pas contre, mais je ne fais pas attention à la durée de mes morceaux.

- CM : Sur Motel Studio 2, tu fais encore parler ton savoir-faire des refrains et des toplines catchy. Où puises-tu cette inspiration ?
K : Je ne sais pas, tout dépend de la prod. La topline, c’est le truc le moins calculé au monde. Tout le monde peut en faire. Si des artistes m’appellent pour ça, c’est que je ne dois pas être trop mauvais sur cet aspect. Sur le coup, je ne me rends jamais compte de si c’est bien ou pas. C’est grâce à mon équipe que je réalise à chaque fois.
« La topline, c’est le truc le moins calculé au monde. »
Karmen
- CM : Smeels et J9ueve sont conviés sur la tracklist. Comment se sont faites les connexions ?
K : Pour Smeels, je suis allé à Bordeaux directement pour faire le morceau. On a posé dans un salon, pour conserver le côté organique. J’ai une anecdote assez drôle avec lui. En 2015, il a participé au crowfunding (ndlr : financement participatif) de mon premier projet Minuit 20. Quand il m’a dit ça, j’étais choqué. J’aime beaucoup sa musique. Quand il a fallu chercher des feats, son nom est apparu comme une évidence. J’aime travailler avec ce genre d’artiste. Tout mon amour pour lui. Nos deux univers sont assez proches avec des voix similaires.
Avec J9ueve, on s’est connecté au Canada, car on était sur place tous les deux en même temps. Tout s’est fait naturellement. On s’est même vu deux fois à Montréal. On a fait connaissance là-bas. Je lui ai apporté « LA LUNE » avec mon couplet déjà prêt.
- CM : Tu as également collaboré à la production avec Unfazzed, Benjay, Uraken, Gizmo et Nardey. Qu’est-ce que ça t’apportes concrètement ?
K : J’adore collaborer et faire de la musique à plusieurs. Je n’arrive plus à travailler seul en studio depuis que je fais des séminaires. C’est trop exceptionnel. Pendant une longue période, tu es entouré de personnes qui parlent le même langage. Ce sont des aventures humaines uniques. Unfazzed, Benjay, Uraken, Gizmo et Nardey sont tous des cracks.
- CM : Globalement, sur Motel Studio 2, je ressens un besoin de (re)nouer avec tes racines espagnoles, que ce soit dans les sonorités, les lyrics ou même l’apparition d’un mariachi à la fin de « Milano ». Qu’en penses-tu ?
K : C’est quelque chose qui me tient à cœur. Toute ma vie, j’ai voulu rendre hommage à mes origines, mais je ne savais pas comment faire. Je suis passé par plusieurs étapes comme pour « Camilia » avec un sample de salsa. Mais ça ne venait pas de chez moi. En Espagne, on écoute du flamenco et du reggaeton. Je ne savais pas trop comment m’approprier ces styles que j’écoute depuis mon enfance. Je commence seulement à trouver ma recette sur ses sonorités. Ce qui sortira dans l’album, ça ne ressemble à rien de ce qu’il y a déjà été fait par le passé. Je suis le seul à avoir cette proposition dans le rap français. Ça motive les gars de mon équipe. Là où l’on va, ça n’existe pas donc c’est stimulant. Chaque morceau est un défi. Les seules références que l’on a, ce sont des titres de flamenco ayant plus de 80 ans. Même si je fais du reggaeton, je me sens comme un rappeur.
« Ce qui sortira dans l’album, ça ne ressemble à rien de ce qu’il y a déjà été fait par le passé. Je suis le seul à avoir cette proposition dans le rap français. »
Karmen

- CM : Sur « Cuando Baja El Sol », tu t’exprimes en espagnol durant le refrain. Est-ce quelque chose que tu vas continuer à développer à l’avenir ?
K : C’est vraiment au feeling. Pour le refrain de « Cuando Baja El Sol », j’ai senti que je devais le faire en espagnol. Je ne sais pas comment te l’expliquer. Je parle couramment la langue donc c’est plus facile pour moi. La dernière fois, j’étais en session avec Lola Indigo à Paris. Les schémas de rime ne sont pas les mêmes. Mon cerveau est paramétré en français. Écrire en espagnol, c’est un exercice différent.
- CM : Sur « La Lune », tu es un peu plus dans l’introspection. Quel regard portes-tu sur le chemin parcouru, du petit garçon ayant grandi à Seyssins jusqu’à Karmen aujourd’hui ?
K : Avant de te répondre, je te confirme que c’était mon idée pour ce morceau. Comme tous les sons ont été conçus pour l’album, je suis plus facilement dans l’introspection. Le projet entier est consacré à l’écriture. Chaque mot est choisi avec précaution. C’est la première fois que je mise autant sur cet aspect. Je veux toucher le cœur des gens avec ma plume. Dans ma vie, j’ai vécu de nombreux moments difficiles et j’ai besoin de me raconter. Pour revenir sur « La Lune », on ne l’a pas gardé pour l’album, car c’était un entre-deux avec de l’égotrip.
« Je veux toucher le cœur des gens avec ma plume. »
Karmen
- CM : Sur ce même titre, tu dis : « Petit, j’avais les crocs, c’était trop ». Est-ce toujours le cas après plus de 10 ans de carrière ?
K : Oui, bien sûr. Cependant, je n’ai pas les mêmes crocs. Dans le passé, j’étais plus fougueux. Aujourd’hui, je n’ai jamais eu autant les crocs, mais je sais comment faire.
- CM : Sur « Milano », il y a une phrase qui a attiré mon attention : « J’ai besoin de trouver la paix ». Peux-tu me l’expliquer ?
K : J’ai l’impression que je serai en paix le jour où tous mes proches n’auront plus aucun problème. C’est impossible, mais ça nous maintient dans le travail (rires). J’ai aussi besoin de trouver la paix dans la musique, en faisant comprendre aux gens pourquoi je me bats depuis toutes ces années. Je serais en paix quand j’aurai rempli toutes les plus grandes salles en France. J’espère y parvenir avec l’album de ma vie.
Grâce à mes activités auprès des artistes, je n’ai pas à me plaindre financièrement. J’ai besoin de passer un cap dans ma carrière personnelle. J’ai rempli une Maroquinerie mais j’ai envie de faire La Cigale. Je suis à la dernière étape avant de vraiment réussir. Cette place est frustrante. Si l’album fonctionne, tout le monde sera content. On pourra également faire une belle tournée. Je ne fais pas de la musique pour l’oseille et ça se ressent. J’aurais pu choisir la facilité et créer des sons pour la radio, mais ce n’est pas ce que je voulais.

- CM : As-tu une date de sortie pour cet album ?
K : Pas du tout. On aimerait le sortir pour 2024. Ça sera dans les 6 ou 8 prochains mois. Je ne veux pas précipiter les choses. L’album est prêt à 85%.
- CM : Dans ce futur projet, aborderas-tu en profondeur le cancer que tu as vaincu ?
K : Oui, évidemment. Je ne l’ai pas fait sur 100 DIAMANTS et les Motel Studio pour en parler dans l’album. Pour te dire, je ne peux pas faire écouter les morceaux à ma mère, car c’est trop prenant. Mon frère a eu les larmes aux yeux en écoutant un titre. Il y a zéro mensonge dans ce projet.
- CM : En 2017 dans une interview pour Sous Culture, tu disais : « J’apparais moins avec lui, on me voit moins avec lui », en parlant de Mister V. Sur Motel Studio 2, une nouvelle fois, tu ne collabores pas avec ton acolyte. Malgré tout, est-ce possible de vous voir sur un projet en commun à l’avenir ?
K : Oui, carrément. Yvick, c’est mon frère de sang. Peu importe ce qu’il pourra me proposer, je dirais toujours oui. Il n’y a pas de calcul. À l’époque Tortoz, j’étais terrifié à l’idée d’être dans son ombre. C’est compliqué de s’imposer à côté de ton ami, aimé et reconnu dans la France entière. Je pense avoir réussi depuis.
« À l’époque Tortoz, j’étais terrifié à l’idée d’être dans l’ombre de Mister V. »
Karmen
- CM : Le 21 septembre prochain, tu seras en représentation sur la scène de La Machine du Moulin Rouge à Paris. Que représente ce show pour toi ?
K : C’est une étape importante et supplémentaire sur mon chemin. Il va permettre de faire vivre les deux Motel Studio et surtout de se projeter pour la tournée. Il faut rassurer les tourneurs sur notre capacité à remplir des salles. Le show aura pour objectif premier de régaler mon public avec une thématique centrée sur Motel Studio. Il y aura du beau monde. J’ai envie de rendre tout l’amour que je reçois.
- CM : En parallèle de ta carrière solo, tu continues à travailler dans l’ombre de certains artistes. Avec qui tu t’es associé récemment hors Shay, PLK, Eva, GuyBezbar ?
K : Depuis un peu plus d’un an, je travaille avec des gros artistes latinos. Je ne peux pas encore donner les noms, mais ce sont des opportunités qui ne se refusent pas. Après la collaboration avec Shay, j’ai mis la topline de côté pour privilégier mon album. Après si PLK m’appelle, j’y vais direct car c’est la famille.
- CM : Tu as un grand rôle dans le dernier album de Shay, Pourvu qu’il pleuve. Qu’est-ce qui t’as le plus impressionné chez elle ?
K : Comme moi, Shay a eu un gros moment de vide. À l’époque, elle avait décidé de changer toute son équipe pour repartir à zéro. C’est son directeur artistique qui m’a mis en relation avec elle. Durant le confinement, je lui ai envoyé cinq morceaux et elle a kiffé. Rapidement, elle s’est dite que je pouvais écrire à la place d’une meuf. Par la suite, on a fait des séminaires ensemble. J’ai dû faire une cinquantaine de titres pour Shay en trois ans. J’ai participé à « Commando », « Poison Ivy », « Santa Fe » et « 1000 à l’heure ». C’était une belle expérience. J’ai beaucoup appris à ses côtés. Avec Shay, tu peux parler aussi bien comme un mec que comme une femme. Elle peut être touchante comme lâcher à foison des punchlines d’égotrip. Elle maîtrise son image de A à Z.

- CM : Est-ce frustrant d’offrir des hits à des artistes et de ne pas en avoir eu encore en solo ?
K : Non, au contraire. Honnêtement, il n’y a aucun morceau que j’aurais sorti pour moi. Ces succès m’ont donné confiance. Dans le passé, je ne savais pas que j’étais capable de faire des hits.
- CM : Tu as également collaboré avec des marques comme Diesel, Puma, Asics, mais surtout adidas et le Real Madrid, ton club de cœur. Hormis de l’argent, qu’est-ce que t’apportes ce type de partenariat ?
K : C’est frais pour mon image. Pour celle avec adidas et le Real Madrid, c’était le rêve de ma vie. Lors du tournage, j’ai passé le plus beau jour de mon existence. Je n’ai jamais été fanatique d’un artiste, mais tout ce qui entoure le Real Madrid, c’est différent. C’est un rapport à mon enfance et à mon père. Me retrouver au centre d’entraînement avec les joueurs, c’était quelque chose de spécial.

- CM : Qu’est-ce que je peux te souhaiter pour la suite ?
K : Un bon album, une Machine du Moulin Rouge sold-out, la santé et garder le sourire.
Motel Studio 2 est disponible sur toutes les plateformes de streaming. Le projet contient quatre morceaux, dont des featurings avec Smeels et J9ueve.