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Ce jour où… 50 Cent a clashé Nas, Fat Joe et Jadakiss

Ce jour où… 50 Cent a clashé Nas, Fat Joe et Jadakiss

Avec la série « Ce jour où… » Booska-P revient sur ces anecdotes de plus ou moins grande importance qui ont marqué l’histoire du rap. Aujourd’hui place à ce jour où Curtis Jackson a vu rouge…

New York, été 1999. Sur le point de sortir tout son premier album intitulé Power of the Dollar, 50 Cent n’en mène pas large.

Emcee comme il en existe tant d’autres dans la capitale du rap, celui qui suite à la naissance de son fils Marquise a abandonné le deal pour se lancer corps et âme dans la musique sait qu’il manque cruellement de buzz pour créer l’évènement.

C’est alors que lui vient une idée de génie : en vertu du bon vieux principe que pour faire parler de soi rien ne vaut mieux que de parler des autres, il pose un morceau dans lequel il s’imagine braquer parmi les cadors les plus en vue du game.

Le résultat s’appelle How to Rob.

« Cela n’avait aucune importance de m’embrouiller avec le monde entier. Je me devais de prendre ce risque, c’était ma seule et unique chance. C’était ça ou retourner dans le ghetto. »

Bien lui a pris, puisque ce coup de poker réussit au-delà de ses espérances.

Jay Z, Big Pun, Ghostface Killah, Kurupt, Sticky Fingaz… non seulement bon nombre de ses collègues se précipitent pour lui répondre, mais ils le citent dans leurs textes !

De là, le nom de 50 Cent est sur toutes les lèvres et sa carrière est lancée.

« Clickity-clank, clickity-clank »

Mars 2005. Six ans plus tard changement d’ambiance, mais pas de mentalité pour celui qui entretemps s’est pris neuf balles dans le buffet, a signé avec Dr. Dre et Eminem, et a écoulé 13 millions de copies à l’international de Get Rich or Die Tryin’.

Sitôt de retour en studio pour débuter l’enregistrement de son très attendu deuxième solo The Massacre, Fiddy décide en effet d’entrée de remettre le couvert avec un morceau dans lequel il dézingue la concurrence dans le seul but d’être au centre des conversations, Piggy Bank.

Reste que là où How to Rob équilibrait ce qu’il faut l’humour et le sérieux, Piggy Bank (« tirelire » en français) se veut un concentré d’hubris de la part de l’autoproclamé « plus mauvais garçon de New York City ».

C’est bien simple, tout le monde subit pour peu qu’il existe un début de prétexte.

Sans surprise, Ja Rule n’échappe pas à la fureur de son meilleur ennemi, lui qui dès la troisième ligne écope d’un sub sans les dents pour imiter avec un peu trop de ferveur Tupac Amaru Shakur (« I’ll get at you! 2Pac don’t pretend »).

Toujours est-il que si 50 ne s’attarde pas plus que ça sur le murderer qui depuis deux ans déjà n’est plus que l’ombre de lui-même, il se sert de lui pour attraper au collet deux autres gros poissons : Fat Joe et Jadakiss.

Leur seul et unique tort ? Avoir eu l’outrecuidance d’accepter quelques mois plus tôt un featuring avec Ja-Ja sur son single New York.

Le Gros Joe est ainsi raillé pour aboyer plus qu’il ne mord (« Tu clames que tu as 100 guns, pourquoi n’entends-je aucune déflagration ? », une ligne reprise au refrain de New York), mais aussi et surtout pour avoir cru un peu trop rapidement que Lean Back, le hit de son crew Terror Squad, était de la trempe de In da Club (« That fat nigga thought Lean Back was In da Club/My shit sold eleven mill’, his shit was a dud »).

Jadakiss est également sommé de rester à sa place, lui dont la renommée ne dépasse guère les frontières de la Grosse Pomme (« Yeah homey in New York niggas like your vocals/But that’s only New York dawg, yo’ ass is local »), au risque de se recevoir une tannée comparable à celle que Jay Z avait mise à Mobb Deep quelques années plus tôt – pour rappel, Jay avait humilié Prodigy en diffusant sur scène une photo de lui enfant habillé en « ballerine ».

Loi du plus fort toujours, 50 démarre le second couplet en attaquant Shyne, à l’époque sous les verrous pour tentative de meurtre. Un temps courtisé pour signer sur G-Unit, l’ancien protégé de Puff Daddy avait préféré se rapprocher du Murder Inc. avant d’enregistrer du fond de sa cellule un freestyle revanchard.

Rancunier, 50 lui rappelle qu’engager un tueur en prison ne lui coûterait que deux, trois pièces.

Après une rapide pique envoyée à Lil Kim’ avec qui il avait pourtant enregistré deux ans plus tôt le duo Magic Stick et qui est ici moqué pour ses (déjà) multiples opérations de chirurgie esthétique, vient ensuite le tour de Nas.

Entre les deux rimeurs du Queens (Fiddy est originaire de Jamaica, Nasty de Queensbridge), il existe en revanche un réel motif d’animosité.

En 2011, alors qu’ils étaient tous deux chez Columbia Records, Curtis Jackson avait été choisi pour feater sur le remix de I’m Gonna Be Alright de Jennifer Lopez. Suite à la fusillade dont il a été victime, pris de panique le label a toutefois préféré se reporter sur le God’s Son.

N’ayant toujours pas digéré la chose, 50 se fout du tatouage qu’il s’est fait de sa meuf Kelis sur l’avant-bras, et ce d’autant plus que cette dernière se vantait elle-même dans son tube Milkshake de faire tomber les mecs comme des mouches (« My milkshake brings all the boys to the yard »).

Et le clip en remet une couche !

Pas sorti en single, Piggy Bank bénéficie néanmoins d’un clip quand à l’occasion de la réédition de The Massacre l’intégralité de la tracklist est mise en images.

Animation un peu grossière (même pour 2005), il caricature Fat Joe en King Hippo, l’un des personnages du célèbre jeu vidéo Mike Tyson’s Punch-Out !!, et Jadakiss en Tortue Ninja, tous deux se prenant une rouste en bonne et due forme sur un ring de boxe face à 50 Cent.

Shyne apparaît brièvement en prisonnier, tandis que Nas est dessiné en petit garçon déguisé en Superman courant désespérément après un camion de crèmes glacées.

Bien qu’absent des paroles, le rappeur de Philadelphie Cassidy en prend pour son grade, lui qui entre la sortie de The Massacre et le clip de Piggy Bank a eu la mauvaise idée d’engager un sosie stripteaseur de 50 dans la vidéo de B-Boy Stance (Cassidy était réputé pote avec Jadakiss, 50 l’aurait entendu mal parler de lui et l’aurait mis au défi de le défier en public, blablabla).

Vêtu d’un hoodie rose sur lequel est imprimé « I’m a hustla » (du nom de l’un de ses tubes) il est vu se faire tabasser dans une station de métro par une bande d’ados.

Enfin, The Game, bien que mentionné positivement pour ses chiffres de ventes (« Banks’ shit, sells/Buck’s shit, sells/Game’s shit, sells/I’m rich as hell »), se prend une rafale, lui qui a depuis quitté avec perte et fracas le G-Unit suite à son refus de clasher Nas.

Parodié en Monsieur Patate, il est affublé d’un bandana Wanksta (« wanker » : branleur).

La riposte s’organise

Rap jeu oblige, les « singes » incriminés (l’expression est employée par 50 Cent en outro) ne tardent pas à réagir, chacun à leur manière.

Poussé par sa « fierté de latino » (là encore l’expression est de Fifty), Fat Joe, qui jamais de sa vie n’avait rencontré face-à-face son agresseur et qui quelques mois auparavant avait même accepté de lui refiler le beat de Candy Shop, dégaine le premier.

Au mois de mai, il sort My Fo-fo (initialement intitulé Fuck 50).

Particulièrement en verve, il s’étonne que jamais personne ne l’ait vu ni dans le hood ni dans une boite de nuit (il ira jusqu’à proposer publiquement une récompense en cash à quiconque lui fournira une photo de l’auteur d’In Da Club dans un club), applaudit le succès de The Game, se gausse du clip Candy Shop où une meuf le déshabille d’un coup de fouet, préfigure le « Cuuuurtis » de Cam’ron, dénonce son entourage composé quasi exclusivement de flics en civil (« Oh yeah, you got sixty-five niggaz on your team/And they’re not from Southside Jamaica, Queens/They’re the boys in blue ») et se demande à voix haute pourquoi lors de la précédente cérémonie des Vibe Awards Fifty n’est pas venu en découdre mano a mano.

Bref, dans un monde où la qualité du texte prime sur l’agitation médiatique, le Don Cartagena aurait dû remporter haut la main ce duel.

Sauf que pour citer 50 Cent : « Joe n’intéresse pas plus que ça le grand public… et de ce fait ne m’intéresse pas plus que ça non plus. »

Qu’à cela ne tienne, dans la foulée cela ne l’empêche pas ce dernier de s’introniser en pleine campagne de promotion pour son sixième album All or Nothing « mec le plus crédible dans la rue depuis 2Pac », puis, au mois d’août suivant lors des MTV Video Music Awards, de lâcher tout sourire sur scène à l’attention de 50 « se sentir en parfaite sécurité grâce aux policiers engagés par G-Unit ».

Si comme Fat Joe, Jadakiss a le nez creux de ne pas aller chercher 50 sur le terrain des ventes (d’une part The Massacre s’est écoulé à 1,1 million d’exemplaires sur ses cinq premiers jours d’exploitation, de l’autre l’année précédente le Lox admettait lui-même sur Why? galérer pour buzzer à l’échelle nationale), il choisit de croiser le fer, non pas sur le terrain de la street, mais sur celui des capacités au micro.

S’ensuit le morceau Checkmate produit par Alchemist où dès l’intro il évacue le sujet (« Bravo pour ta première semaine homie ») avant d’enfiler les perles (« Ton album va servir à rouler des oinj’ dessus », « Tu devrais te contenter de refourguer des baskets »…).

Dans la foulée, ‘Kiss lui propose un octogone un battle dans les règles de l’art au Madison Square Garden, avec un prix d’un million de dollars pour le vainqueur.

Pas fou, 50 fait le sourd.

Nas de son côté la joue comme s’il ne s’était rien passé ou presque, quand bien même comme ses petits camarades 50 l’a de nouveau name droppé dans Window Shopper, le lead single de la bande originale de Get Rich or Die Tryin’ (« Nas, t’es un lécheur de vitrine »).

Tout juste se contente-t-il de quelques allusions dans Don’t Body Yourself (« Ouais on vient du même quartier et alors renoi ? ») et Queens Get The Money sur l’album The N en 2008 (« Now that’s 50 porch monkeys ate up at the same time »).

Tout est bien qui finit bien

Le truc, c’est que tous les concernés ont bien compris dès le départ que Piggy Bank procédait avant tout d’une stratégie marketing, qu’il n’y avait rien de vraiment personnel.

D’ailleurs une fois le soufflé retombé, les réconciliations se succèdent.

En 2012, le décès du mogul Chris Lighty pousse 50 Cent et Fat Joe a enterré pour de bon la hache de guerre en son honneur, lui qui de son vivant avait fait tout son possible pour qu’ils se rabibochent « Nous étions juste trop bornés » déclarera Fat Joe.

Résultat, cette même année l’auteur de 21 Questions et celui de What’s Luv? montent ensemble sur la scène des BET Hip Hop Awards pour se joindre à l’hommage qui lui est rendu en compagnie de A Tribe Called Quest, Missy Elliott et Busta Rhymes.

Mieux, en 2014 ils collaborent sur le titre Free Again où ils évoquent leur ancien litige.

Et en 2019, ô miracle, 50 Cent va jusqu’à complimenter Joe sur Instagram pour sa spectaculaire perte de poids !

Idem pour Jadakiss passée la guéguerre de façade The Lox/G-Unit (Shots Fired, Who Shot Ya, G’s Up, I Run New York, Death Wish…)

« Pour nous Fif’ était avant tout un fan. Quand sur Back Down il avait rimé que ‘Tous les renois solides viennent de notre quartier Yonkers’, on savait que c’était pour nous. »

« En 2014, il m’appelle et me dit ‘Yo j’arrive’. Et là il vient chiller avec nous… On commence à enregistrer tous les deux Irregular Heartbeat, il enregistre Chase The Paper avec [Styles] P… Franchement, ce clash n’a jamais été sérieux. Les gens lui ont donné beaucoup plus d’importance qu’il en avait. »

Bon attention, il est un point sur lequel ‘Kiss ne transige pas : s’il y avait eu battle au Madison Square Garden, c’est lui qui aurait raflé le million, « facile ».

Pour ce qui est de Nas, là aussi la paix a été actée dans le plus grand des calmes.

Lors de l’édition 2014 du festival Summer Jam, programmé juste après le passage de l’auteur d’Illmatic, 50 est introduit sur scène par ce dernier visiblement ravi de le retrouver (voir la 21ème minute dans la vidéo ci-dessous)… et qui depuis le temps a fait recouvrir « le tatouage de sa bitch sur son bras ».

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