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« The Documentary » de The Game : le classique d’une génération

« The Documentary » de The Game : le classique d’une génération

Il y a 15 ans sortait l’un des plus gros blockbusters de l’histoire du rap…

Comme beaucoup de jeunes noirs élevés dans les rues de Compton, Jayceon Terrell Taylor aurait pu lui aussi ne jamais fêter ses 25 ans. Blessé par balles à cinq reprises un soir de 2001, le Cedar Block Piru est passé à quelques centimètres d’une fin tragique.

Plongé dans le coma pendant trois jours, à son réveil il se met en tête de devenir rappeur. Disséquant les classiques du genre sur son lit d’hôpital, il commence tout d’abord par les réécrire à sa sauce avant de franchir les portes d’un studio d’enregistrement sitôt sur pied.

Avec le soutien de son grand frère Big Fase, il sort ainsi en 2002 la mixtape You Know What It Is Vol.1 qui lui vaut d’attirer l’attention de Puff Daddy, puis celle de Dr. Dre qui le signe sur Aftermath l’année d’après.

Affilié au G-Unit de 50 Cent pour bâtir son buzz (une idée de Jimmy Iovine, le grand patron d’Insterscope, la maison mère des labels de Dre et 50), il est très vite présenté comme le sauveur en chef d’une côte ouest depuis trop longtemps en retrait sur la scène nationale.

S’en suivent quasiment deux ans de formation en interne et de multiples reports avant que The Documentary arrive enfin dans les bacs le 18 janvier 2005.

Vendu à 587 000 copies en première semaine et écoulé depuis à plus de cinq millions d’exemplaires, l’album rencontre le succès espéré, comblant là les rêves les plus fous de The Game.

Était-ce simplement dû à la science marketing mise à son service mélangée au savoir-faire des professionnels de la musique qui l’entouraient ? Réponse après avoir passé en revue les 18 morceaux qui composent l’opus.

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1. Intro To The Documentary

Première des cinq co-productions de Dr. Dre, cette mise en bouche a en réalité été ajoutée à la dernière minute histoire de donner un tour plus cinématique à l’ensemble.

Pour ce faire, le bon docteur Young est allé sampler un obscur monologue qui ne va pas sans rappeler la scène d’ouverture de The Wire et dont aujourd’hui encore personne ne connaît la provenance.

Notez que contrairement à la décennie précédente où les tracklists étaient alourdies à n’en plus finir avec des interludes pas toujours du meilleur goût, il s’agit là du seul moment de répit de The Documentary.

2. Westside Story (Ft. 50 Cent)

Blood élevé par des parents Crips, The Game dédie ses premiers mots à tous les gang members qui ont patiemment attendu son arrivée dans le grand bain avant de se comparer dans la foulée aux plus grandes figures passées de Los Angeles.

Aidé au refrain par un 50 Cent qui fait ce qu’il sait faire de mieux, ce In Da Club californien (c’est tout juste si la célèbre ligne de basse de Mike Elizondo n’est pas copiée/collée) met d’entrée tout le monde d’accord.

Bien conscient du rendu, Dre avait d’ailleurs lourdement insisté pour que le morceau enregistré dès 2003 soit conservé pour l’album plutôt que d’être lâché dans la nature sur une quelconque mixtape ou bande originale de film.

3. Dreams

Curieusement placée en troisième position, cette production si typique du Kanye West du milieu des années 2000 rend hommage à la demi-sœur aînée de Venus et Serena Williams tuée par balle en plein Compton en 2003.

Au micro, Game fait part de ses rêves et ambitions à coup de name dropping en cascade. Martin Luther King, Eric Wright, Mya… ce sont au total plus d’une trentaine de blazes qui sont entendus en moins de cinq minutes.

Fan ou pas fan de cette figure de style veille comme le rap, on est en droit de regretter qu’à trop en abuser cela altère le côté intimiste du texte.

4. Hate It or Love It (Ft. 50 Cent)

« Ya, let’s take em back »

La complémentarité unique entre « 5-0 » et The Game qui se renvoient la balle sans forcer, les paroles auxquelles il est possible de s’identifier sans nécessairement avoir leurs vécus, la douce mélancolie qui émane du sample des Trammpssérieusement, qui sont ces gens qui restent de marbre devant ce monument ?

À la limite la seule question qui importe ici c’est de savoir si le G-Unit Remix où Lloyd Banks, Young Buck et Tony Yayo débarquent tous en forme olympique n’est pas encore meilleur.

5. Higher

Destiné exclusivement au marché français, ce quatrième single est l’une des rares pistes où Game officie en solo… ou presque – impossible de ne pas se souvenir du « Look out for Detox » de Dre lâché à la fin du troisième couplet.

L’occasion pour lui de faire admirer son timbre de voix rauque et guttural sur une instrumentale absolument dévastatrice.

Efficace en diable donc, quand bien même les plus grincheux ne peuvent s’empêcher de relever que tout ceci est un brin scolaire.

6. How We Do (Ft. 50 Cent)

Entre cette instru plus Aftermath que jamais (parfaite netteté du son, batteries dépouillées, notes limitées au minimum syndical), un 50 Cent qui brille de mille feux et un Game qui à coup de rime en « -huuun » réussit à ne pas trop se faire voler la vedette, How We Do décroche haut la main le titre de banger de l’année 2005.

De quoi faire regretter un peu plus que le G-Unit et le G-Unot n’aient pas su par la suite mettre leurs différents leurs egos de côté, eux qui avaient tout pour devenir les John Lennon et Paul McCartney de leur génération.

7. Don’t Need Your Love (Ft. Faith Evans)

Si par le plus grand des hasards vous trouviez que The Game sonne ici différemment du reste de l’album, ce n’est pas une vue de l’esprit.

Moins de trois mois et demi après tard s’être pris cinq bastos dans le buffet en octobre 2001, il commençait les séances studios sous la bannière Interscope. Toujours en train de cicatriser, le corps encore recouvert de compresses pleines de sang, Don’t Need Your Love fut le tout premier morceau qu’il boucla.

D’où cette voix plus fébrile qui ne s’en marie pas moins harmonieusement au thème et aux vocaux de Faith Evans.

8. Church for Thugs

Connu pour « flow jacker » à la chaîne ses petites camarades (Biggie, Nas, Andre 3000, Nipsey Hussle et tant d’autres), The Game a débuté ici sa carrière de faussaire en imitant Fifty au refrain.

Pas de chance pour lui, il chantonne moins bien, même si de çà et là les intonations de son boss se font entendre – la légende veut que la maquette du titre écrite et interprétée par ce dernier ait été réutilisée pour doubler sa voix.

Sinon Just Blaze est ici particulièrement en forme, ce qui dans les années 2000 voulait dire beaucoup.

9. Put You on the Game

Superproducteur toujours, Timbaland (accompagné de son bras droit Danja) s’est fixé comme seul objectif avec cette « electro-convulsive therapy » de faire sauter dans tous les sens les foules des clubs.

Et des ad-libs au sample de Bollywood en passant par ses grimaces dans le clip, c’est peu dire que le résultat est à la hauteur.

Très ironiquement ce cinquième et ultime single sorti en plein clash avec la bande à Fifty est truffée de références à son ancien crew Cf. entre autre « My Unit is Guerrilla/Fuck with my La Familia/I will kill ya ».

10. Start From Scratch (Ft. Marsha Ambrosius)

Nouvelle intervention de Dr. Dre et Scott Storch avec la chanteuse r&b Marsha Ambrosius en invitée de marque dans un rôle que n’aurait pas renié la légende Nancy Fletcher.

[Ambrosius qui pour info a quelques années plus tard eu le nez creux en refusant de rejoindre la galère Aftermath.]

Des trémolos dans la gorge, Game s’imagine remonter le temps et refaire les choses à sa manière en confondant sa vie à celles de ses idoles (avoir empêché la séparation des N.W.A., avoir éteint sa PlayStation plus tôt la nuit de son agression, ne pas avoir à pleurer les décès de ses homeboys…).

11. The Documentary

Hier comme aujourd’hui The Game a beau ne pas être pas le emcee à la personnalité la plus affirmée, il est néanmoins une chose qui ne peut pas lui être enlevée : sa passion pour le rap.

Fil conducteur de ce premier album, elle trouve sa pleine expression dans ce morceau éponyme dont le refrain reprend les titres des classiques de Notorious B.I.G., Jay Z, Snoop, Ice Cube, 2Pac et Nas… non sans ajouter en queue de peloton The Documentary.

Est-ce mérité ? À la mi-album, force est en tout cas d’admettre qu’aucun temps mort ou faux pas n’est à constater.

12. Runnin’ (Ft. Dion Jenkins & Tony Yayo)

De 2003 à 2005, le G-Unit écrasait tellement la concurrence qu’il a pendant ce laps de temps réussi à faire croire au reste du monde que Tony Yayo était « the next big thing ».

Pas aussi nul qu’on peut le lire, s’il pâtit clairement de la comparaison avec ses petits camarades Lloyd Banks et Young Buck, il lui arrive de s’en sortir très correctement comme c’est le cas ici avec ce couplet posé tout juste après sa sortie de prison.

Point bonus pour les amateurs de G-funk : il y a une sirène en fond.

13. No More Fun and Games

Just « Blaaaaaze » le retour.

2 minutes 38 bien nerveuses aux faux airs de freestyle sur fond de Gangsta, Gangsta des Niggers With Attitude.

Peut s’écouter deux fois de suite sans problème.

14. We Ain’t (Ft. Eminem)

Mais quelle mouche a piqué l’ami Jayceon lorsqu’il a décidé de se surnommer le « brown Eminem » sur No More Fun and Games ?

Remonté comme jamais, au micro, au refrain et à la prod, Shady marche en effet tellement sur l’eau que ça en devient gênant pour tout le monde.

Il est d’ailleurs fort à parier que si The Game s’est par la suite toujours montré des plus élogieux à son égard, c’est en grande partie à cause de cette démonstration.

15. Where I’m From (Ft. Nate Dogg)

Dans les années 90/2000, pas d’album West Coast digne de ce nom sans un refrain du regretté Nate Dogg, et ce d’autant plus qu’ici l’ambiance est aux classiques du genre.

Hymne à sa ville de Compton, Where I’m From s’écoute donc habillé en « Chuck & khakis », mais non sans mélancolie.

16. Special (Ft. Nate Dogg)

Retour du crooner « Nate D-O-double-G » cette fois-ci dans un style totalement différent.

Sur le fond, parce qu’il s’agit d’une « chanson d’amour » (il est quand même beaucoup question de marques de luxe) façon Me & My Girlfriend ou Bonnie and Clyde.

Sur la forme, parce que le refrain a été écrit par 50 Cent et que la différence s’entend tout de suite en termes de diction.

17. Don’t Worry (Ft. Mary J. Blige)

Le traditionnel featuring de la reine Mary sur l’album d’un rappeur.

Mélange de The Message et de 21 questions, sans être mauvais, il n’est pas mémorable non plus.

S’il y a un filler sur The Documentary, c’est celui-là.

18. Like Father, Like Son (Ft. Busta Rhymes)

Enfin ! Après 17 pistes aux lyrics interchangeables ou presque, The Game se livre en contant les 50 minutes précédant la naissance de son fils Harlem Caron Taylor.

Pas des plus renversants sur le papier, ce Tel Père, Tel Fils touche cependant juste grâce à son interprétation (merci Busta Rhymes), non sans au passage plutôt bien rééquilibrer la tracklist.

Très bonne conclusion.

Le paradoxe « The Documentary »

Malgré les quelques réserves évoquées tout au long de cette chronique, il faudrait être d’une mauvaise foi carabinée pour estimer ne pas en avoir pour son argent tant chaque dollar dépensé en studio se fait entendre.

Et tant pis si les ficelles sont parfois un peu trop apparentes, quinze ans après les faits le plaisir demeure intact.

Reste que si The Documentary se situe en bonne place sur la liste des meilleurs albums rap des années 2000, son auteur n’est lui ni de près ni de loin considéré comme l’un des meilleurs rappeurs de son époque.

Non, The Game n’est pas un Snoop ou un Ice Cube.

Entre ses lyrics de spectateur, son flow somme toute assez banal et sa non-prise de risque permanente, il faut bien avouer qu’il tient plus de la tête de gondole que de l’artiste capable de s’affranchir de ses prestigieux pygmalions.

Certes sur un disque aussi minutieusement calibré que The Documentary ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais qui a dit que c’était un peu comme gagner un titre NBA avec les Lakers sans être dans le cinq majeur ?

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