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Scylla, un homme aussi mystique que poétique. [PORTRAIT]

Scylla, un homme aussi mystique que poétique. [PORTRAIT]

Le crâne rasé et une voix qui porte. Une sensibilité et un passif compliqué. Etrange ? C’est pourtant ce qui représente Scylla. Dissocier la chair et l’esprit, c’est tout ce qu’il cherche à démontrer dans Masque de chair sorti le 31 mars. Le Bruxellois se met à nu et dévoile qui il est vraiment.

Poète ou rappeur, on se tâte encore. Pour Scylla, artiste Bruxellois, la nuance est mince. 31 mars 2017, une nouvelle pochette faisait son entrée dans les bacs. Celle de « Masque de chair ». On y voyait le visage d’un petit garçon au regard pensif. Cet enfant représente Scylla, Gilles de son prénom. « Cette cover ne pouvait pas mieux résumer l’album. » explique-t-il. Masque de chair aborde avec sensibilité un sujet profond et épineux pour certains et questionne : « qui sommes-nous vraiment ». Pour Scylla, le choix du petit homme prend alors tout son sens : « Un enfant représente l’innocence et l’insouciance. Il n’est pas encore conditionné par les opinions diverses de son entourage. Il pense comme il vit. » Au fil du temps, le rappeur cherche à retourner à cet état d’origine, au produit brut de sa personne. « Ce n’est pas facile à 36 ans. » avoue-t-il, le sourire aux lèvres.

Bercé par l’au-delà

Pourtant « Masque de Chair » révèle un Scylla transparent, au plus proche de lui-même. Il met en lumière un artiste à la voix rocailleuse, qui brille même au-delà des vivants. Lorsqu’on lui demande s’il croit au monde spirituel, il répond instinctivement « j’adore ça », puis butte sur le verbe. « La définition même de la croyance signifie qu’on pense que quelque chose existe sans preuves tangibles », détaille-t-il avant de renchérir, la voix balbutiante : « Je ne sais pas si j’y crois. Enfin si en fait. Pour moi il y a une logique invisible au-dessus nous, qui nous suit dans chacun de nous mouvements. »

Pour lui, cette logique dépasse toute croyance religieuse car il se dit ouvert. « Bouddhisme, christianisme, islam, tu peux tout me mettre dans les mains car tout m’intéresse », admet Gilles. Ce qui lui plait, c’est qu’il retrouve dans chacune les mêmes bases, avec une interprétation différente.

Si croire et avoir des convictions lui permet de se sentir en vie, Scylla a aussi un rapport très apaisé avec la mort. Il aborde le sujet dans « La tête ailleurs », où il explique que son esprit « est parti au royaume des morts pour leur crier à quel point il aime sa vie. » Dans ce titre, il s’adresse à tous les défunts, proches ou éloignés pour leur témoigner à quel point la vie est précieuse. « Dans une interview, on m’a dit que je traitais d’un sujet délicat, qui mettait mal à l’aise les gens mais ils ont torts de le fuir. J’ai vécu le décès de proches qui ont été très compliqué pour moi, mais quand j’en parle cela me vivifie l’esprit et cela me permet d’encore plus apprécier la vie », raconte-t-il, sans langue de bois. S’il en parle avec émotion, il s’exprime également avec force et recul, car Scylla est le seul interprète de ses sentiments et il n’a pas choisi que ces moments soient tristes. « C’est un choix. C’est toi qui décide comment tu vis chaque chose, ce n’est pas la vie qui choisis à ta place », conclue-t-il.

Laisser place au silence pour se reconnecter avec les défunts

Si l’artiste est arrivé à ce stade de réflexion et de maturité, cela a tout même demandé beaucoup de travail. Il y a deux ans, il a perdu sa maman, qu’il a accompagnée vers un monde nouveau. Physiquement, elle était au creux de ses bras, mais son âme partait vers d’autres horizons. Dans son titre « Vivre », il dit souvent « tendre le micro vers le ciel lorsqu’il ne sait plus quoi dire. » Scylla connait l’impact des mots mais sait que « parfois le silence est plus fort ». Alors il préfère se taire et trouver une connexion avec sa maman. Il laisse d’ailleurs une place au calme dans plusieurs de ses morceaux afin « de laisser parler le silence. »

Scylla permet également à la musique et à la production de devenir maître du morceau le temps de quelques secondes. C’est le cas du titre « Et toi ? », où en 4 minutes l’artiste interroge sur une question existentielle : Qui es-tu vraiment ? Sofiane Pamart, le pianiste avec qui travaille le jeune belge lui a balancé un début de mélodie et les mots lui sont venus naturellement. « Le sujet me taraudait l’esprit depuis un bon bout de temps, puis cela s’est conscientisé sur la feuille. » Il insiste sur sa volonté d’interprétation qu’il veut libre à chacun : « Je donne mon point de vue mais je n’impose rien. Je veux réellement que chacun trouve le sien. »

L’interrogation, c’est un peu la marque de fabrique de chacun de ses sons. Sauf dans un, où Scylla n’interroge plus mais affirme. Il est persuadé d’avoir un groupe d’âmes, c’est-à-dire d’être lié, à des inconnus. Ce morceau c’est « Enchanté ». A l’intérieur, il décrit l’attraction physique qu’il ressent lorsqu’il croise une personne et « que quelque chose se passe ». Comme si un fil invisible les reliés et leur permettaient de savoir qu’ils s’étaient connus dans une autre vie. La réincarnation, ça existe à tes yeux ? « Je n’aurai pas la capacité de l’affirmer, mais j’ai envie d’y croire car l’idée me plait » répond Scylla.

Kery James et Scylla, future collaboration ?

Si le monde de l’au-delà est intangible et fantasque, le Bruxellois est tout autant attaché au réel. Son amour du quotidien, il le partage avec B-lel, rappeur Belge qu’il a invité sur son album pour le titre « Esprits fraternels ». Amis depuis 10 ans, ils se considèrent comme de vrais frères de cœur. Ce morceau laisse place à une réelle déclaration d’amitié, ce qu’ils n’auraient jamais osé hors des murs du studio. « Dehors, on se taquine, on sait qu’on s’apprécie, mais on ne va pas poser des mots sur nos sentiments. La musique permet de le faire. », dit Scylla avant de renchérir : « Je voulais une intimité dans cet album, je n’ai pas voulu insérer de grosses collaborations car je désirais de l’authenticité. » déclare-t-il.

Beaucoup s’attendaient à une collaboration avec Kery James. L’artiste l’a invité sur de nombreux événements et Scylla se dit très reconnaissant mais s’explique : « J’aime quand les choses soient naturelles. Je revenais de loin et cet album touchait à mon moi intérieur. Je ne voulais pas m’entourer de têtes d’affiches pour faire du buzz. »

Il rigole. « Je sais que je m’en prend trop la tête et que je me pose trop de questions. C’est un artiste authentique et maintenant je suis prêt à bosser avec lui. », se justifie-t-il.

Industrie musicale : « A trop consommer la musique, c’est elle qui nous consomme »

S’il est aussi méticuleux, c’est parce que Scylla aime prendre le temps de faire les choses et de les faire bien. 4 ans entre ses deux albums, il est loin d’être plongé au cœur de l’industrie musicale qui pousse les artistes à sortir de nouveaux projets à la chaîne. « Ce milieu-là, j’ai voulu m’en éloigner car honnêtement cela dévore les âmes. Je suis chef de projet dans la sécurité sociale à côté alors que je pourrais clairement en vivre. Mais à trop consommer la musique, c’est elle qui nous consomme. », décrit-il avec une voix apaisée. « Une fois qu’elle doit remplir ton frigo, tu ne travailles plus de la même façon. » ajoute Gilles. Il reconnaît toutefois l’utilité de fonctionner avec une maison de disques, tant « qu’elle respecte ton esprit d’indépendance » afin d’être entouré de pro et d’être financé. Il dit avoir une relation de gagnant-gagnant avec l’équipe de Pias.

Scylla trouve que Damso a de la profondeur

Originaire de Belgique, la maison de disques a réussi à séduire Scylla mais n’a pas su s’accaparer tous les rappeurs Bruxellois. Damso, Shay, Roméo… Tous viennent du même endroit mais font leur petit bonhomme de chemin. L’artiste se dit heureux de voir une émergence du rap belge. Si ces artistes sont très éloignés musicalement parlant, il dit bien aimer certains titres de Damso « car il a une profondeur. »

Il trouve toutefois dommage que certains talents restent dans l’ombre toute leur vie par manque de visibilité.

Prochain album déjà en cours d’écriture

Scylla conclue avec « En attendant ma prochaine vie », 15ème titre de son album. Encore une fois, il fait un clin d’œil à l’au-delà, mais prochaine vie peut également signifier nouvel opus ? Affirmatif ! Le rappeur, qui manie les mots comme un poète manierait les vers, noircit déjà les pages de son cahier. Il dit vouloir satisfaire ses fans sans trop les faire languir et laisser de la spontanéité à ses futurs morceaux. Pour Masque de chair, il en avait écrit 35, pour en garder finalement que 15. Beaucoup seront toutefois exploités pour son projet de piano-voix en cours de réalisation.

Pour finir en beauté, Scylla nous fait profiter d’une phrase qu’il adore pleine de finesse : « Arrête tes couilles espèce de mucht. »* On n’a rien compris mais ça sonne bien.

*Traduction pour ceux qui n’ont pas l’âme d’un Belge : « arrête tes mensonges espèce de crétin. »

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