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Les Alchimistes : quand le rap belge se fait hardcore [PORTRAIT]

Les Alchimistes : quand le rap belge se fait hardcore [PORTRAIT]

Rencontre avec un duo d’artistes belges qui mise sur le rap hardcore, avec succès.

La belle Bruxelles n’a de cesse de nous dévoiler de nouvelles pépites nées en son sein. L’expérience se renouvelle avec un groupe venu se présenter à l’équipe de Booska-P pour un portrait en règle, Les Alchimistes. Rizno et Ruzkov, respectivement 25 et 24 ans, explorent un genre encore assez timide dans le paysage du game francophone : le rap trash. A l’occasion de la sortie de leur projet, le bien nommé Antisocial, disponible depuis le 8 juin dernier, Les Alchimistes nous révèlent l’essence de leurs formules chimiques.

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Du secondaire au stud’

A la base, tout sépare Benjamin et Pavel. Le premier est très solitaire et discret, le second beaucoup plus exubérant et volubile ; l’un est d’origine congolaise, l’autre est d’origine russe ; musicalement, Rizno est dans une vibe plus posée et sombre, Ruzkov scream et casse sa voix. Physiquement, le contraste est tout aussi saisissant. Et pourtant, ça colle à merveille. Sans même se connaître, Benjamin et Pavel ont un point commun : ils sont tous les deux issus d’une vague d’immigration vers la Belgique, l’une congolaise et l’autre russe. L’immigration russe résulte de l’explosion de l’URSS en 1991, les parents de Ruzkov ont dû fuir le pays car son père aurait été dans l’obligation de s’engager et partir à la guerre, une chose impensable pour lui.

On a grandi dans le même quartier et c’est à l’école qu’on s’est rencontré

Il explique : « Je suis russe de sang, de père et de mère, je suis né en Belgique dans un pays où il n’y a pas de droit de sol, du coup, j’étais sans-papiers. Je suis régularisé depuis deux ans, là j’ai ma nationalité belge. Ma daronne a eu les papiers il y a pas longtemps, mon daron a fait de la prison toute sa vie. Il a été expulsé d’Europe et il est bloqué en Russie. » Philosophe, le rappeur ajoute : « Comme on m’a souvent dit : « On s’habitue à tout ». Tu peux être né riche, tu auras des problèmes à côté, ce n’est pas tout rose. On s’habitue au milieu dans lequel on vit. » Du côté de Rizno, les choses sont plus simples si l’on peut dire, il résume : « Je suis belge d’origine congolaise, une immigration beaucoup plus connue, surtout dans le rap. »

Ca fait 10 ans que les deux amis se connaissent. « On a grandi dans le même quartier et c’est à l’école qu’on s’est rencontré, vers 13/14 ans, en secondaire (l’équivalent du collège en France, ndlr) » commence Rizno. « On était dans la même école et on prenait tout le temps le train ensemble. On s’est rendu compte qu’on faisait toujours le même trajet. C’est le destin » précise son alter-ego. Fans de Rap Contenders et Dégaine ton style, les deux potes s’amusent à écrire des clashs, « Tout le monde se clashait à l’école et au quartier. » Et un jour de 2013, les choses se concrétisent, ils décident d’écrire un son et de l’enregistrer. C’est vers Krisy de la Fuentes qu’ils se dirigent, car« C’est la base à Bruxelles ! »

« A l’époque, il y avait pas beaucoup de studios et les studios étaient très chers (…) Krisy avait une formule qui permettait à tout le monde d’aller chez lui. Quand on allait là-bas, on voyait tout le monde. C’était dans sa petite chambre, son grenier… » indique Rizno. Il a ensuite fallu trouver un blaze pour porter ce duo. Sans chercher à vendre du rêve, les deux rappeurs ont fait le tour des mangas qu’ils adorent à la recherche d’un binôme fraternel :« On a pris Les Alchimistes comme Full Metal Alchemist, ça sonnait bien et c’était deux frères. » Aucun rapport avec le bouquin de Paulo Coelho nous assure le duo en riant : « Si on veut commencer à faire les intellos, on va dire qu’on a pris la référence en lisant ce bouquin, mais il ne faut pas mentir. On était sur un fauteuil, on s’est dit qu’il fallait trouver un nom, et voilà. » Simple.

Connexions belges et inspirations décalées

Portés par une scène belge en pleine ébullition, les deux rappeurs expliquent qu’ils y ont de nombreuses connaissances, mais peu de véritables amis au sein du game made in Belgique. Rizno connaît bien Krisy et Hamza, tandis que Ruzkov a grandi avec Roméo Elvis, de 5 ans à 12 ans, puis côtoie Dolfa, Nixon et Krisy également. Même si ces Belges en vogue ne relayent pas leurs morceaux sur les réseaux sociaux, Les Alchimistes perçoivent les retombées d’un Plat pays en plein bouillonnement. Autant qu’ils peuvent, les deux rappeurs essayent de ne pas trop s’inspirer du boulot de leurs compatriotes et des francophones de manière générale.

La trap permet d’être plus libre dans les codes.

Rinzo abonde : « Je n’aime pas être trop influencé. A force d’écouter un son, après, quand tu vas écrire, tu vas inconsciemment imiter. Si ce n’est pas moi qui ai contrôlé cette inspiration, je vais l’avoir mauvaise. » De son côté, Ruzkov est plus catégorique : « C’est pour ça que je n’écoute pas ce que font les autres. Dans l’inconscient, tu écris trop les mêmes rimes que les gens si tu commences à écouter les rappeurs. Moi j’ai beaucoup écouté Alkpote quand j’étais petit et parfois j’écris des textes et je me dis « Merde, c’est Alk ça ! ». Et ça sort tout seul… »

Niveau inspiration, Rizno préfère le 7ème art : « Je m’inspire du cinéma. C’est bizarre, mais quand j’écoute de la musique, ça m’inspire pas plus que ça, c’est plutôt des films. Quelques fois, il y a des idées dans les films qui me choquent, alors j’essaye de mettre l’idée en musique. » Une façon de travailler que le rappeur détaillera à la fin de notre entrevue. De son côté, Ruzkov est principalement inspiré par le rock, voire le metal, ainsi que la vague de rap US hardcore (XXXTentacion, $uicideboy$, Ghostemane…). Il explique ainsi qu’un morceau comme Bateau est plus proche des sonorités de David Bowie et de Led Zeppelin, « Des sons où ça chantait en criant, c’était mélodieux, mélancolique… » ; tandis que les sonorités de #DansLaLoge étaient plutôt inspirées du « metal lyrical » : Rammstein, System of a Down… Rizno, pas vraiment fan de metal, avoue être touché par l’émotion dégagée par les ambiances du genre : « Quand j’écoute, je comprends où ils veulent m’emmener. Pour moi la musique c’est que de l’émotion. »

Les Alchimistes restent tout de même en phase avec la trap actuelle. Et ils n’y trouvent que du bon ! Ruzkov se réjouit de cette ouverture musicale dans le rap et Rizno détaille : « La trap permet d’être plus libre dans les codes. Les anciens sons old-school étaient très techniques, tout le monde ne pouvait pas faire du rap. Il y avait trop de codes : il fallait respecter les syllabes, tomber sur les temps… Tu ne pouvais pas faire de mélodie à cause de la prod. Avec la trap, tu fais ce que tu veux, tu peux venir avec un seul mot pendant tout le son, si tu le dis bien, ça passe. »

« Antisocial », furieux et mélancolique

Le 8 juin dernier, le duo bruxellois revenait en force avec une deuxième mixtape intitulée Antisocial, digne successeur d’une première ‘tape, #DansLaLoge, disponible depuis le 2 juin 2017. Et pour mieux faire patienter leur communauté Les Alchimistes dévoilaient chaque mardi des morceaux qui seront réunis dans un projet intitulé Hors-Série. Avant cela, les rappeurs se présentaient au public avec un EP 6 titres (1er juillet 2016), Cannibales, porté par des tracks comme Dope et 3 A.M qui illustraient l’univers déjà mélancolique et torturé du duo.

J’espère vraiment que ça va pouvoir aider les gens qui sont dans le même cas que moi

Pourtant, avec Antisocial, Rizno et Ruzkov proposent un projet moins violent que ses prédécesseurs. Une évolution naturelle d’après Rizno, absolument pas influencée par une demande du public complète Ruzkov : « Sur ce projet, on a vraiment bossé en fonction de l’humeur dans laquelle on était le jour où on bossait le truc. » Rizno ajoute : « C’est spontané, ça dépend du mood dans lequel on est et de la prod’ surtout. Si la prod’ me dit que je dois chanter un truc, je vais chanter. »

Un projet plus calme oui, mais toujours avec l’identité hardcore originelle du duo et ses lyrics torturées, faisant d’Antisocial un véritable exutoire. Dans les paroles, des sujets très durs sont abordés, notamment les addictions aux drogues et à l’alcool, le sentiment de profonde solitude ou encore le mal-être permanent. « J’espère vraiment que ça va pouvoir aider les gens qui sont dans le même cas que moi. » souligne Ruzkov. « On parle beaucoup de situations que les gens peuvent vivre, et le fait d’écouter ça peut leur permettre de se dire qu’ils ne sont pas les seuls à vivre ça. On peut y arriver, à s’en sortir de là. » ajoute Rizno. Un projet si personnel que personne n’a été invité à collaborer ; zéro featuring.

Cette nouvelle ‘tape a été bossée sur environ deux années. « A cause de la distance, de l’organisation… Mais en soit, on aurait pu le faire en une semaine. » affirme Rizno. Au niveau de l’écriture, les deux potes ont une façon de procéder tout à fait différente. Ruzkov est dans l’instant, tandis que Rizno est dans la réflexion. « Moi personnellement, je mets la prod’ et ce que ça me procure me permet d’écrire le texte en 15 minutes et de structurer le truc en 30 minutes, le temps de répéter le truc et de voir si c’est bien dans les temps. C’est tellement facile de rapper quelque chose qui vient du cœur, et puis ça fait du bien. » raconte Pavel.

« Moi je veux pas dire trop de bêtises, j’aime bien quand c’est un peu réfléchi, j’aime avoir du recul. » explique Rizno qui préfère bosser ses phases et construire des métaphores comme un véritable artisan. « C’est une logique. Moi-même quand j’écoute mes propres sons, quelques fois, j’ai du mal à me comprendre. J’ai une idée et le problème c’est que quand je l’écris, ce n’est pas clair, je n’arrive pas à rendre ça assez synthétique pour les gens. C’est comme si j’élaborais des formules et finalement les autres n’arrivent pas à lire le résultat. » En soi, une belle définition des Alchimistes, cherchant à livrer leurs sentiments via des équations spécifiques où les mots s’additionnent dans des formules explosives.

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