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Le Rap, la cavale et la prison : « Le marketing carcéral » [DOSSIER]

Le Rap, la cavale et la prison : « Le marketing carcéral » [DOSSIER]

La prison et la cavale ont un rôle particulier dans le rap, de l’inspiration qu’elle procure à Rohff à la carrière qu’elle offre à Mister You et Lacrim…

Le rap français (et pas uniquement…) entretient un lien particulier avec la prison. Contrairement à la vie civile, le passage par le « hebs » sur son CV est loin d’être synonyme de portes fermées. Le nombre d’années de prison est un indicateur de la street crédibilité au point que tous les rappeurs se doivent d’avoir passé quelques années à l’ombre avant d’atteindre la lumière. Mais la prison n’est plus une simple corde à son arc dans la panoplie du rappeur hardcore, elle devient pour certains un vrai tremplin, tant artistiquement qu’au niveau marketing.

La prison offre le meilleur des rappeurs ?

L’influence de la taule dans le rap ne viendrait-elle pas de sa capacité aux dépassements de nos rappeurs bagnards ? Livré à eux-mêmes, enfermés 23 heures par jour dans une cellule de 9m2, on ne peut guère espérer mieux pour se concentrer sur l’essentiel : son rap. Lunatic nous avait fait un très bon exemple avec le classique « La Lettre » morceau qui retrace une relation épistolaire entre un Booba incarcéré et son acolyte Ali. Encore en 2015,Booba nous rappelle dans Tony Sosa son passage à l’ombre et son influence : « Premier album écrit à Bois d’Arcy » (NDLR : maison d’arrêt). Mais n’en déplaise à ses détracteurs c’est bien Rohff qui a le plus su tirer bénéfice de son incarcération. Après avoir passé 5 mois à Fresnes, il livrera le meilleur album de sa carrière (à mes yeux) avec le Code de l’Horreur. Une galette de 17 titres teintés de rage et de sincérité, un album acclamé par la critique et plébiscité par le public. Cet album sonne comme le sommet de sa carrière (ou le début de sa chute selon les points de vues). La prison semble pour Rohff lui-même un lieu propice à la remise en question, la preuve en est son message publié suite à l’affaire de la boutique Unkut :

A chaque mal un bien…

« A chaque mal un bien… Encore Merci !! Vous êtes une valeur ajoutée à mon épreuve, un grand recul sur moi même. Tout cela me procure une inspiration fertile qui me rappelle celle du code 2 l’horreur. Le niveau de l’album que vous prépare au calme est sans précédant, il n’y aura pas plus consistant et plus puissant et ça je vous le garantis du fond de ma cellule. »

Plus récemment il livrait une vidéo dont il a le secret : un décompte de 10 secondes avant qu’il ne se débarrasse de son bracelet électronique. C’est ce qu’on appelle faire acte de contrition.

Cette théorie se vérifie probablement pour de très bons rappeurs, ayant déjà le talent et l’expérience. Mais prendre la prison pour une solution miracle est illusoire, et on peut bien heureusement compter sur quelques découvertes de Tonton Marcel pour nous ramener à la réalité, comme le fameux Coco Tkt. Certes la prison a un impact créatif sur le rap, mais cet impact est incomparable par rapport au nerf de la guerre : le buzz.

Cavale tu feras, riche tu seras…

Les Gradur, Niska, JUL, PNL et consorts sont systématiquement affiliés au mot « buzz », mais si un rappeur français devait s’approprier ce terme, ce n’est autre que Mister You. Arrivé pendant l’émergence de YouTube, il s’est servi de sa cavale pour faire grossir l’attente autour de ses projets. La cavale et l’attrait pour le banditisme dépassent les frontières du rap, tous les médias généralistes s’emparent du phénomène jusqu’à retrouver notre rappeur de Belleville sur On N’Est Pas Couché (où il se fera dézinguer par le duo Polony/Pulvar). Il médiatisera sa cavale pendant 2 ans et demi, tout en prenant soin de surjouer la situation ; son avocat confiera au procès « Le tribunal n’a pas considéré mon client comme un fugitif. Et pour cause: les officiers de la BNRF (Brigade Nationale de Recherches des Fugitifs, ndlr) n’ont mis que 48h à le trouver« . Ainsi Mister You a trouvé le meilleur moyen de se faire connaitre du grand public jusqu’à obtenir un disque de platine.

https://www.youtube.com/watch?v=ECi7EhQbj_8

Ce n’est pas un hasard si le deuxième rappeur sérieux (qui se rappelle du rappeur de Teuchiland ?) à être médiatisé sur sa cavale est Lacrim, un proche de Mister You. Lacrim, qui joue avec son passé dans le « grand banditisme », est devenu en un an la nouvelle grosse tête du rap français. En septembre 2014 sortait Corleone, le premier album de Lacrim, porté par une excellente direction artistique et un single estival, l’album sera certifié disque de platine, un exploit pour un rappeur très rue. Une carrière qui s’annonce exceptionnelle après des années de terrain (street album, clips à millions de vues, gros featurings,..) mais qui aurait pu s’arrêter net en mars 2015 quand il est condamné à 3 ans de prison. Le rappeur a annoncé une mixtape et expliqué qu’il ne se rendrait pas pour le moment, invoquant une injustice. À l’époque des réseaux sociaux, le buzz a tout emporté sur son passage, chacune de ses interviews explose les clics (plus de 2 millions de vues pour certains), l’attente est à son maximum. Lacrim gérera sa promo d’une main de maitre. Au lieu de se précipiter chez des médias généralistes qui l’attaqueront pour l’exemple donné à la jeunesse (Remember You), Lacrim sélectionne avec soin ses interlocuteurs. Et si sa cavale l’empêche d’aller à Skyrock ? Peu importe, il invite directement les caméras de Booska-P pour le filmer lui et d’autres têtes d’affiche. Résultat : une mixtape disque d’or, quelques mois seulement après la sortie de son album. Le 9 septembre 2015, Lacrim s’est rendu à la justice, bien décidé à se défendre dans cette histoire qu’il considère infondée ( d’ailleurs une série de T-shirts « Libérez Lacrim » a été lancée en soutien de l’artiste). Le rappeur explique ne pas avoir tenté de capitaliser sur sa cavale (il n’en a pas parlé dans ses textes par exemple), sa mixtape R.I.P.R.O 2 sort dans seulement un mois, 6 mois après le premier volume. Alors disque d’or ou mirador ?

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