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Kendrick Lamar est-il le rappeur de la décennie ? [DOSSIER]

Kendrick Lamar est-il le rappeur de la décennie ? [DOSSIER]

S’il est peut-être encore une peu trop tôt pour répondre à la question, reste qu’avec son dernier album, To Pimp a Butterfly, K.dot a frappé très fort.

Difficile de juger de la qualité d’un album en quelques jours. Et pourtant quelques heures à peine après la sortie prématurée du troisième essai du prodige de Compton, nombreux sont ceux (de Kanye West à Questlove en passant par… Taylor Swift) qui s’écriaient au génie sur les réseaux sociaux, galvaudant pour l’occasion encore un peu plus le terme de classic.

Si, n’en déplaise à Twitter, seule l’épreuve du temps est à même de délivrer ce genre de brevet, il est vrai que les 16 pistes de To Pimp a Butterfly produisent dès la première écoute une forte impression, l’impression que ce disque ne sonne comme personne, pas même comme son prédécesseur l’acclamé et chéri Good Kid, M.A.A.D City.

S’il ne fallait retenir que quelques épithètes pour qualifier ce disque « dense », « épais » ou « abondant » viendraient à coup sûr en tête de liste.

Le flow sans faille du rappeur se promène ainsi d’un confin à l’autre de la musique noire américaine : jazz, soul, funk, tout y passe – on croise aussi bien les figures tutélaires de George Clinton et de Snoop Dogg que des samples de Michael Jackson ou des Isley Brothers. Ce patchwork d’influences va même jusqu’à parfois flirter avec les limites du projet conceptuel, quitte à perdre un peu son auditeur en cours de route.

L’opus rappelle d’ailleurs beaucoup, certains projets comme Phrenology des Roots, Love Below d’Andre 3000, voir même Electric Circus de Common. Tous avaient alors pris le risque à un moment clé de leur carrière de tenter un virage artistique audacieux suite à un succès artistiques et commercial. Si les résultats n’ont pas toujours été à la hauteur des ambitions, ces disques ont néanmoins grandement participé à façonner l’identité artistique de leurs auteurs.

Un talent unique, comme il en surgit tous les 10 ans

Refusant la facilité (aucun single évident ne porte l’album, Dr Dre étant même relégué au rôle de figurant de luxe), Kendrick Lamar a néanmoins remporté son pari. Ne serait-que parce qu’il a su gérer l’attente énorme qui pesait sur ses épaules en évitant de servir une redite de son précédent essai. En cela le prodige de Compton se comporte comme un véritable artiste, et pas une usine à tubes ou un porte parole sponsorisé.

Mieux à l’instar d’un D’Angelo il y a quelques mois, il renoue avec cet engagement politique qui a forgé les lettres de noblesse des premières heures du Hip Hop. Certains iront même jusqu’à voir en lui le digne héritier de ses prestigieux aînés de la côte ouest que sont NWA et Tupac Shakur.

Alors que depuis l’accession de Barack Obama à la présidence, beaucoup en sont venus à penser que certaines luttes étaient tombées dans l’oubli, l’actualité récente (des émeutes de Ferguson au décès de Treyvon Martin) a prouvé qu’il n’en était rien.

Quand la plupart de ses homologies rappeurs ont déserté ce terrain, K.Dot embrasse pleinement la cause, n’hésitant pas à franchir un pas supplémentaire en mettant en scène son examen de conscience – allant jusqu’à clamer être « le plus gros hypocrite de l’année » en guise d’introduction de The Blacker the Berry.

Malgré sa complexité, To Pimp a Butterfly peut aussi s’appréhender de manière intuitive. Il n’est pas indispensable de décoder tous les niveaux de lecture pour apprécier l’émotion et la musicalité du projet. Chaque écoute décèle ainsi son lot de surprises. Un joli tour de force.

Bien sûr tout n’est pas parfait, on dénote çà et là quelques temps morts, quelques longueurs (voire quelques lourdeurs), mais in fine ce troisième album parvient à être en phase avec son époque sans être complètement prisonnier de son temps.

Au-delà des chiffres de ventes ou des polémiques sur la stratégie commerciale adoptée, ce qui fait de la sortie de To Pimp a Butterfly un point d’orgue de l’année 2015, c’est qu’il donne une nouvelle dimension à la carrière d’un rappeur dont l’envergure et l’aura ne cessent de croitre.

Alors pour répondre à la question posée dans le titre si Kendrick Lamar n’est pas le meilleur rappeur des années 10, qui d’autre à l’heure actuelle peut prétendre à ce titre ?

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