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Kaaris : Pourquoi Or Noir part.3 est un pari risqué ?

Kaaris : Pourquoi Or Noir part.3 est un pari risqué ?

Focus sur l’un des plus gros défis de la carrière du rappeur : « Or Noir part.3 ».

Le retour de Kaaris au style hardcore avec lequel il a construit ses premiers succès pourrait ressembler à une solution de facilité, mais en réalité, il s’agit d’un risque réel. Alors que Kaaris vient de dévoiler le clip « Débrouillard » qui devrait être l’une des exceptions de ce prochain album, on fait le point.

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Une trajectoire paradoxale

La trajectoire empruntée par Kaaris ces dernières années résume à elle seule tous les paradoxes d’une carrière de rappeur : l’apogée en terme de succès critique (Or Noir part.1 et 2) ne correspond pas au point culminant sur le plan commercial (O.G), et la période pendant laquelle l’artiste réalise ses plus gros tubes (Tchoin, Diarabi) est finalement celle pendant laquelle il s’attire le plus de critiques négatives de la part du public. A l’heure où le rappeur revient à ce que le public attend le plus de lui (en clair, des textes évoquant des pratiques sexuelles débridées et une volonté farouche de repousser les limites imposées par les différents orifices du corps humain), il est difficile d’appréhender l’accueil critique, d’autant que les réactions aux premiers titres dévoilés ont oscillé entre le chaud et le froid.

Explorant le champ lexical de la proctologie avec une inventivité sans pareil

Au milieu des différents extraits, dont on n’a pas toujours su s’ils feraient partie de la tracklist définitive d’Or Noir part.3 (G.O.K.O.U), les apparitions de Kaaris à chaque fois qu’il a été appelé en featuring ont en revanche rappelé à quel type de massacre on était en droit de s’attendre sur l’album à venir : que ce soit sur Empire (feat Fianso), Cette année là (feat Mayo), Mistigris (feat Fianso, encore), Napoléon (feat Dorsaux), le Sevranais s’est toujours appliqué à outshiner son partenaire sans la moindre vergogne, explorant le champ lexical de la proctologie avec une inventivité sans pareil.

Paradoxalement, les titres solo ont eu un impact plus limité, peinant à soulever les foules là où la partition du K double A sur 93 Empire avait enthousiasmé, et ce, malgré des qualités assez évidentes – quand Kaaris parle de « doigter ta go’ avec un seau » ou s’interroge sur l’éventualité d’arracher un coeur en passant par le rectum, on peut difficilement nier que l’auteur d’Or Noir a encore de quoi décharger dans la joie et la bonne humeur. Et s’il n’est pas le seul rappeur français à faire dans le gore et à se lancer régulièrement dans l’exploration des différentes cavités du corps humain en chansons, il reste l’un des plus doués dans ce type d’exercice. Le troisième volet d’Or Noir devrait donc au minimum nous offrir quelques beaux moments pendant lesquels l’obscénité sera sublimée, et quelques belles images improbables du type « elle tient ma queue comme un sèche-cheveux » – une pratique qui a finalement peu d’intérêt si le but est réellement de se faire un brushing, mais là n’est pas la question.

Un contexte extrêmement différent

Reste à savoir si faire du sale pour faire du sale suffira à assurer à Kaaris un succès critique équivalent à celui des deux premiers volets d’Or Noir, ou un succès commercial à la hauteur d’O.G. La grande problématique se situe principalement dans l’absence assez criante d’attente de la part du public et de la presse : en 2013, la percée définitive de Kaaris après Kalash et Zoo avait tout d’un raz-de-marée, et si le Sevranais n’avait rien inventé dans les faits, en reprenant simplement à sa sauce des tendances US, il était en avance sur le reste du rap français, et avait poussé tout le game à changer d’orientation et à s’engouffrer dans la vague trap et drill. Difficile d’imaginer qu’une telle situation puisse se reproduire aujourd’hui, Kaaris étant visiblement plus disposé à mettre à jour ses vieilles recettes qu’à innover. Suffisant pour produire des titres efficaces, mais si l’ambition est de réitérer les succès passés, les interrogations se posent légitimement.

Reste à savoir si faire du sale pour faire du sale suffira à assurer à Kaaris…

L’impact de la musique n’est cependant pas uniquement lié à une pure question artistique. En 2013, à la sortie d’Or Noir, Kaaris avait tout l’attirail du personnage véhiculé par sa musique : le regard noir, menaçant même en freestyle, avec cette pointe de second degré que tout bon méchant de dessin-animé possède, et qui le rend encore plus méchant. Un package complet, qui ne faisait qu’ajouter à la puissance de son interprétation sur disque. Aujourd’hui, tout a changé : en restant très naturel à travers ses interviews et ses réseaux sociaux, Kaaris a prouvé – volontairement ou non – qu’il était surtout un mec sympa, souriant, et de bonne humeur la majorité du temps, à plus forte raison depuis la naissance de sa fille, puisqu’il ressemble désormais plus à un papa-poule qu’à une version sevranaise d’Attila le Hun.

Evidemment, un bon père de famille peut très bien faire du rap hardcore et rester crédible en posant « j’vais t’attraper le crâne et le percer » entre deux couches et un biberon – de toute façon personne n’a réellement cru Kaaris le jour où il a annoncé qu’il se curait les dents avec des squelettes. Reste que la stratégie adoptée par le rappeur est à double-tranchant : de prime abord, on pourrait supposer que revenir à Or Noir, une recette qui a déjà fait ses preuves, pourrait constituer une solution de facilité. C’est pourtant tout le contraire, puisque Kaaris va se retrouver face à une montagne de risques, sans le moindre filet de sécurité. « Sors un album qui bicrave et les négros vont te clasher / sors un album qui bicrave pas et les médias vont te lâcher », analysait ainsi Riska en 2013, faisant écho, sans le savoir, à sa situation en 2018. Le rappeur n’a ainsi jamais fait face à autant de critiques que lorsqu’il a changé son fusil d’épaule, en 2016-2017, avec les albums Okou Gnakouri puis Dozo. Pourtant, il n’a jamais autant vendu et enchaîné les millions de vues que pendant cette période, prouvant de façon très factuelle que les titres légers et dansants étaient de meilleurs alliés que les punchlines hardcore dans la bataille des chiffres.

Plus aucun filet de sécurité

Aujourd’hui, Kaaris tourne donc le dos à un style qui lui a assuré une réussite impressionnante ces deux dernières années, alors qu’il aurait très bien pu continuer à livrer des hits dans la veine de Tchoin, Diarabi et Poussière, squattant les playlists des clubs et des bars à chicha, et continuant à accumuler la youtube-money sans trop se soucier de la part de son public qui n’attend de lui que des métaphores phalliques fantaisistes et des références à des pratiques sexuelles spectaculaires. Revenir vers ce qui a construit sa légende à ses débuts correspond donc avant tout à abandonner le confort actuel de sa carrière, et à se fixer un challenge particulièrement difficile, tant la barre était placée haut sur Or Noir 1 et Or Noir 2. Bien que l’on ne soit pas à l’abri d’un miracle, il parait tout de même difficile d’imaginer que des clips à 100 millions de vues comme Tchoin puissent venir porter Or Noir part.3 vers les sommets des charts : pour s’assurer une véritable réussite, Kaaris va donc devoir miser sur la qualité de son produit plutôt que sur des coups isolés, en espérant reconquérir le public le plus exigeant, resté quelque peu circonspect par la direction empruntée par le rappeur ces deux dernières années.

pour s’assurer une véritable réussite, Kaaris va donc devoir miser sur la qualité de son produit plutôt que sur des coups isolés

Si les interrogations au sujet de l’éventuelle réussite, critique ou commerciale, de cet album, peuvent tourmenter Kaaris, ses équipes ou sa maison de disques, les auditeurs, eux, ont en réalité très peu de questions à se poser. La plupart d’entre eux avaient déjà fait leur deuil du Kaaris d’Or Noir, certains accueillant à bras ouverts le Kaaris d’O.G, d’autres préférant se contenter de réecouter encore et toujours 2 et Demi, 63, Juste ou Chargé, en appréciant les quelques fulgurances du rappeur à chaque fois qu’il arrive mal luné avec l’envie d’arracher des coeurs par le trou de balle, comme sur Arrêt du Coeur ou Empire. Au mieux, ceux-là auront droit à des prolongations et pourront se délecter une fois de plus d’un album sale et nerveux, à ranger dans leur discographie aux côtés des deux premiers volets d’Or Noir, de Z.E.R.O et éventuellement de Double Fuck ; au pire, ils oublieront ce nouvel album aussi vite qu’ils ont oublié les deux précédents, en gardant tout de même en mémoire une série d’images bien explicites impliquant divers organes et orifices malmenés. Venant de Kaaris, c’est bien le minimum syndical.

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