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« Temps Mort » de Booba, autopsie d’un grand classique

« Temps Mort » de Booba, autopsie d’un grand classique

Unanimement considéré comme l’un des albums les plus importants de l’histoire du rap français, Temps Mort souffle sa dix-huitième bougie aujourd’hui. Retour sur un grand classique.

  • Artiste : Booba
  • Titre : Temps Mort
  • Date de sortie : 22 janvier 2002
  • Format : Album
  • Certifications : disque d’or (dont le seuil à l’époque était à 100.000 ventes) obtenu le 21 janvier 2003

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Le contexte de la sortie

En 2002, Booba ne compte encore aucune ligne en solo dans sa discographie, mais il a déjà marqué les esprits des amateurs de rap français à de nombreuses reprises. Sa période Time Bomb, durant laquelle des titres comme Le Crime Paie, Les Vrais Savent (tous deux avec Ali) ou Pucc Fiction (avec Oxmo Puccino), avait fait de lui une étoile montante ; c’est ensuite l’album Mauvais Oeil (avec Ali, au sein du groupe Lunatic) qui fait de lui une réalité concrète. Mal accueilli par les maisons de disques, il devient ainsi le premier album de rap français indépendant à aller chercher un disque d’or -même si le débat reste ouvert avec Assassin, qui a obtenu des certifications plus tôt avec des albums auto-produits, mais restait techniquement publié par Virgin.

Quand Temps Mort sort en 2002, Booba n’est donc plus un inconnu pour une bonne partie auditeurs, même s’il lui reste à conquérir le grand public. Le single Destinée, extrait de la réédition de l’album, tourne plutôt bien sur Skyrock, média rap omnipotent à cette période, la balance entre anciens auditeurs de Lunatic désireux de le découvrir en solo et nouveaux auditeurs est donc plutôt équilibrée.

Ce qu’on en dit à l’époque

Si l’album est entré dans la légende, et reste aujourd’hui considéré comme l’un des tous meilleurs disques que le rap français ait produit, les critiques sont pourtant partagées au moment de sa sortie.

Le Monde, 18 février 2002 : « Booba tente l’aventure en solo (sans remettre en cause l’existence du groupe) et semble drainer à nouveau les oreilles avides de frissons malsains, de phrases chocs et de colère radicale. Toujours édité par 45 Scientific (qui lancera bientôt de nouveaux noms comme Hifi, Malekal Morte ou L.I.M.), son album Temps mort, en tête des ventes de la Fnac quelques jours après sa sortie, déverse son amertume avec la même efficacité inquiétante. De sa voix épaisse comme le bitume, Booba balance des textes profilés pour choquer, apparemment marqués par les événements du 11 septembre (« Ces fils de pute veulent qu’on dégage / Après ils s’étonnent quand il y a des clous dans les bouteilles de gaz »). »

Abcdrduson, avril 2002 : « Attendu comme peu, cet album ne correspond pas à l’idée que l’on avait pu s’en faire. Ceux qui estimaient qu’un Booba esseulé ne pouvait que gâcher les productions mises à sa disposition se trompaient triplement. En effet, en l’absence d’Ali, le MC « pésa en noir avec une faux » déploie une constance et une verve au-dessus de toutes les espérances. Mais les prestations de son entourage – producteurs et rappeurs – s’avèrent être des facteurs de déception. Ainsi, de par son inégalité, Temps mort ne fait que confirmer la force du mythe Booba. D’où la question : à quand un véritable album solo ? »

Ce qu’en pense Booba aujourd’hui

« Qui éliminer entre Temps Mort, Ouest Side, Nero Nemesis et Trône ? Temps Mort. Parce que c’est moi qui l’a fait, déjà. Plus c’est vieux, plus c’est has been. » (en interview pour la rubrique Au Revoir Merci sur OKLM)

La cover

Temps Mort est l’un des rares albums de rap français à se doter de trois visuels totalement différents, pour les trois éditions successives du disque : une première avec la moitié du visage de Booba en gros plan, et un sablier, pour une version 14 titres sans l’interlude ni les bonus de la réédition ; une deuxième pour la version vinyle, représentant Booba dans un cimetière, qui sera ensuite décliné en version CD ; et enfin un visuel en noir et blanc, très sobre, avec Booba en légère contre-plongée.

Les featurings

Ali, LIM, Moussa, Malekal Morte, Sir Doum’s, Nessbeal, Mala. Sur la réédition : Kayna Samet.

Très entouré depuis ses débuts, Booba est alors loin de l’image de loup solitaire qu’il développera par la suite. Depuis Time Bomb jusqu’au 92i en passant par l’aventure de groupe avec Lunatic, il s’inscrit clairement dans une dynamique collective en 2002 quand il déclare en interview « si je devais faire mon autoportrait, ça regrouperait plusieurs personnes. En gros, tout le 92. Malekal Morte, Sir Doum’s , LIM. On est tous pareil, on marche en équipe, on respecte notre travail ». On retrouve d’ailleurs ces noms tout au long de la tracklist de Temps Mort, permettant à beaucoup d’auditeurs de découvrir entre autres le travail de Nessbeal ou LIM -pourtant pas des nouveaux venus, le premier charbonnant avec son groupe Dicidens tandis que le second s’était déjà distingué avec Movez Lang et le Beat 2 Boul.

Les producteurs

Fred Dudouet dit « Fred le Magicien » (5 pistes) ; Animalsons (5 pistes + les 2 bonus de la réédition) ; Geraldo, Julien Dicano et Full Moon (1 titre chacun).

Si Booba a clairement admis qu’il n’y avait pas de ligne directrice précise sur le choix des prods de Temps Mort, et que la sélection se faisait surtout au feeling, cet album marque à la fois une continuité avec Mauvais Oeil sur les ambiances plus solennelles (Ma définition, Interlude) ou franchement sombres (De Mauvaise Augure, Indépendants) et une vraie ouverture sur l’avenir sur des beats plus pêchus (Animals, Repose en paix) ou plus ouverts (Jusqu’ici tout va bien, Inédit). Resté une référence sur la partie instrumentale, il fait partie de ces rares albums intemporels, qui sonnent toujours actuels malgré les quasi deux décennies qui nous séparent de sa sortie.

A propos de la production de cet album, en 2010 à l’Abcdrduson : « Temps Mort, c’était vraiment expérimental. J’ai pris des beats à gauche, à droite. Vraiment au feeling. Un des beats a été fait sur Playstation. »

Les titres importants

Repose en paix : Sur un sample de Vanilla Fudge (qui reprend lui-même les Beattles) génialement bouclé par Clément d’Animalsons, Booba fait ce qu’il sait alors faire de mieux : un puzzle de mots et de pensées (une expression qui va rester) rythmé par des formules choc qu’on n’appelle pas encore punchlines (« Pé-sa en noir avec une faux, je contourne les MC à la craie blanche / Le résultat d’une blanche et d’un nègre / Un coup d’hanche et c’est le ravin, fais pas ton nid sur la branche d’un aigle »). En dehors de l’intro, c’est aussi le titre le plus court de Temps Mort, sans le moindre refrain, et c’est le seul solo de Booba clippé à l’époque -l’autre clip extrait de l’album étant Strass et Paillettes avec Ali.

Destinée : Le single qui porte l’album et lui permet de gratter des passages radio, sur un format qui fait ses preuves à l’époque, avec cette association rappeur/chanteuse qui fonctionne plutôt bien. Booba se démarque, comme souvent, par son sens de la formule (« Docteur, j’fais une fausse couche parce que la rue m’a baisé »), et met un premier pied dans une future habitude, le name-dropping de concurrents – « comment ça j’suis pire que Joeystarr dans les journaux ? », en référence à un article du Parisien qui cite le témoignage d’une « jeune fille l’ayant connu » et le comparant à « Joeystarr puissance mille » dans son rapport aux femmes. A noter l’incompréhension d’une partie du public face à la censure en radio de la phrase « les hyènes ressentent la tumeur, et moi j’suis d’humeur palestinienne », certains auditeurs estimant à l’époque que le rappeur et son label ont cédé aux conditions imposées par Skyrock pour le diffuser -d’autant que le label a beaucoup axé sa communication sur son opposition à la politique de Laurent Bouneau, on se souvient notamment de la campagne promotionnelle « sans coke ni sky » pour la réédition de l’album.

Strass et Paillettes : On ne le sait pas encore à l’époque de sa sortie, mais Strass et Paillettes constitue le dernier titre officiel de Lunatic, et sonnera plus tard comme un drôle de prélude à cette fin -on se souvient du Strass et Paillettes part.2 sur le Black Album de Lunatic publié en 2006, mettant l’accent sur le « Lunatic, mon groupe imbrisable » lancé en toute insouciance par Ali.

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