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Quels secrets cachent les tatouages des yakuzas ?

Quels secrets cachent les tatouages des yakuzas ?

Plongée dans un monde emprunt de rites et de traditions…

Costumes noirs portés en toutes circonstances, petits doigts amputés, films de Takeshi Kitano… quand sont évoqués les yakuzas ce ne sont pas les clichés qui manquent pour décrire cette organisation criminelle nichée au cœur du Japon.

Parmi eux il en est peut-être un qui l’emporte sur tous les autres : leurs fameux tatouages qui recouvrent leurs corps de la tête aux pieds.

Composés de motifs aussi spectaculaires que colorés, ces derniers ne sont absolument pas choisis au hasard et encore moins piqués sur la peau n’importe comment.

Pour comprendre leur symbolique et découvrir leurs secrets, il est toutefois nécessaire de se replonger dans le temps et plus précisément au début du 17ème siècle, quand tout a commencé.

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Un peu d’histoire…

En 1600, la victoire de Tokugawa Ieyasu à l’issue de la bataille de Sekigahara suivie de son accession au rang de shogun (gouverneur militaire) entérine la fin de la période féodale et initie le début d’une nouvelle ère considérée comme la première de l’ère moderne : l’ère Edo (du nom de la nouvelle capitale du pays, future Tokyo).

Malgré l’unification nouvelle du territoire et la relative stabilité qui en découle, la criminalité ne disparaît pas pour autant, bien au contraire, l’afflux de populations nouvelles dans les centres urbains sous l’effet de l’exode rural ayant plutôt tendance à aggraver les choses.

Poussées à réagir, afin d’endiguer le phénomène les autorités décident de tatouer ceux qui enfreignent la loi en guise de punition.

De là naissent les ancêtres des yakuzas qui mis au ban de la société via cette marque indélébile peuvent désormais se reconnaître entre eux et par conséquent s’unir et se structurer.

Pour qui voudraient rentrer plus en détail sur la création de ces premières bandes, deux versions se font concurrence.

Pour la majorité des historiens, les yakuzas descendent des kabuki-monos (les « fous »), des samouraïs qui suite à la proclamation de paix se sont retrouvés sans maîtres (on parle de « rônins ») et se sont mis à piller et semer la terreur dans les villages en usant de la force. Les yakuzas revendiquent eux d’être les descendants des machi-yakkos (« les serviteurs des villes »), ces groupe d’autodéfense formés justement pour défendre les plus faibles des brimades des kabuki-monos.

Toujours est-il que très vite deux grandes factions de criminels se forment avec d’un côté les tekiyas qui parcourent les routes pour revendre des objets volés, et de l’autre les bakutos qui contrôlent les jeux de hasard – et qui accessoirement en cas de conflit interne découpent le petit doigt de leurs membres.

Et puis au 18ème siècle, sans que l’on ne sache trop pourquoi, les bakutos commencent à se faire appeler les yakusas, un mot désignant la pire combinaison possible du oicho-kabu (8/ya, 9/ku, 3/za), un jeu de cartes proche du baccara, et qui par extension s’applique aux « bons à rien », aux reclus de la société.

Question tatouages, les yakusas nouveaux font au 19ème quelque peu évoluer la tradition des bakutos en s’ornant de motifs, non plus à chaque crime commis, mais pour affirmer leur affiliation au groupe, chaque clan ayant tendance à opter pour des pièces voisines.

C’est également aux alentours de cette même époque que l’ère Edo se termine pour laisser place à la restauration Meiji.

Ni une, ni deux, le pouvoir en place qui souhaite insuffler un vent d’air frais au sein de la société nippone se fend d’une batterie de dispositions économiques et sociales pour redorer l’image du pays longtemps imperméable à toute présence étrangère – de 1650 à 1842 la politique de fermeture du pays (le « sakoku ») interdisait formellement à tout Japonais non muni d’une autorisation expresse d’entrer ou de sortir du territoire sous peine de condamnation à mort.

La réouverture des frontières engendre ainsi l’interdiction de certaines coutumes dont les étrangers (et notamment les occidentaux) pourraient juger de prime abord qu’elles sont « barbares », comme la nudité publique, les combats de sumos mixtes, les charmeurs de serpent, les estampes érotiques et les tatouages !

Il faut ensuite attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’arrivée des forces d’occupation américaines sur le territoire pour qu’en 1945 cette mesure soit levée.

Légalisé, le tatouage ne se débarrasse pas pour usant de sa mauvaise réputation, et ce d’autant plus que le fait que durant toutes ces années la pratique ait subsisté dans la clandestinité la plus totale a encore un peu plus aggravé les choses à ce niveau.

Un art à proprement parler

Cet ostracisme est pourtant des plus injustes tant il existe une forme de tatouage bien spécifique au pays du Soleil-Levant : les Irezumis, ces pièces grandeur nature qui peuvent s’étendre du cou jusqu’au bas des fesses, sur toute la poitrine et sur les avant-bras.

Assimilés par la force des choses aux yakuzas et aux classes sociales les moins valorisées, les Irezumis se veulent à la base un rituel ultra codifié similaire à celui de l’arrangement floral (« ikebana ») ou de la cérémonie du thé (« Chanoyu »).

À ce titre il existe tout un vocabulaire relatif à la discipline, qu’il s’agisse du nom des tatouages (le « shichibu » est le tatouage qui couvre les 7/10e du bras jusqu’à l’avant-bras, le « gobu » est le tatouage qui couvre les 5/10e du bras jusqu’à l’épaule…) ou de notions tout à fait uniques comme le « shakki » (le son que produisent les aiguilles lorsqu’elles piquent la peau).

Évidemment, qui dit art dit transmission de cet art.

Un apprenti se forme ainsi longuement auprès d’un maître artiste tatoueur (« Horishi ») qui dans les premières années… lui fait nettoyer son studio, préparer l’encre (« sumi »), fabriquer des aiguilles tandis qu’il observe au loin les clients se faire tatouer. Vient ensuite le temps de s’initier au dessin jusqu’à que le maître l’estime compétent pour réaliser ses premiers motifs (le plus souvent sur sa propre chair) et ne le baptise de son nom de tatoueur – en général le mot « hori » (graver) accolé à une syllabe dérivant du nom du maître.

Étonnamment, encore aujourd’hui ces artistes tatoueurs ne sont pas des plus faciles à trouver, ces derniers préférant majoritairement le bouche à oreille pour les prises de contact aux réseaux sociaux.

Pour ce qui est du tatouage en lui-même, c’est tout sauf une partie de plaisir, notamment en raison du fait qu’aucune machine électrique n’est utilisée.

Tout commence par le dessin des contours (« sujibori ») qui se fait à main levée et sur une seule séance, ce qui implique en général plusieurs heures d’immobilisation.

Une fois ce travail terminé, le tatoueur s’attelle à l’ombrage et à la coloration selon la technique Tebori (littéralement « gravé à la main »), une étape particulièrement douloureuse qui s’accomplit à l’aide de faisceaux d’aiguilles attachés à un manche en bambou et trempés dans de l’encre de charbon mélangée à des pigments de couleur.

Comme vous pouvez le voir sur la vidéo ci-dessous, le processus requiert énormément de temps.

Outre le fait que de nombreuses séances doivent s’étaler au rythme d’une par semaine sur plusieurs mois, en raison du coût de la main d’œuvre et des matériaux, le prix d’un Irezumi peut vite avoisiner les 30 000 euros !

Tout comme le temps et la douleur qui attestent de la détermination et du courage du yakuza, cette somme participe à donner au tatouage un statut bien particulier, à mi-chemin entre le rite initiatique et la preuve de réussite sociale.

Un charme discret

Porté avec fierté, l’Irezumi n’est toutefois pas exhibé à tout-va par les yakuzas.

Non seulement parce que nombreuse enseignes refusent catégoriquement d’accueillir des clients arborant des tatouages (les bains publics, les clubs de fitness, les banques…), mais aussi et peut être surtout parce que cela correspond à une certaine conception des choses.

A contrario des narcos ou des mafieux, bien qu’étant eux aussi des parias, les yakuzas bénéficient d’une certaine tolérance au sein d’une société japonaise qui les voit comme une sorte de mal nécessaire.

Connus des services police, ils opèrent à visage découvert (voir ce défilé en plein festival dans les rues de Tokyo) pour peu qu’ils ne franchissent pas certaines limites (le Japon est l’un des pays au monde où le taux d’homicide est le plus bas et où la législation sur les armes à feux est la plus répressive).

Le tatouage symbolise d’une certaine façon cette zone grise. Sulfureux dans un monde où l’uniformité est la règle, dissimulé sous les vêtements (les yakuzas ne s’encrent ni les mains, ni le cou et laissent très souvent une bande vierge au niveau du torse pour pouvoir ouvrir leur col de chemise), il s’immisce le moins possible dans la vie publique.

Ou pour citer le maître tatoueur Horiyoshi : « La culture du tatouage est toujours un tabou au Japon, mais c’est ce qui la rend belle. Les lucioles peuvent seulement être vues la nuit. Leur beauté n’apparaît que dans la pénombre. On ne peut pas la percevoir en plein jour. Quand quelque chose devient commun, ce n’est plus aussi fascinant. Dans la culture occidentale, les tatouages sont à la mode, mais au Japon nous apprécions les tatouages que l’on ne peut pas voir, c’est ce qui les rend beaux à nos yeux, le fait qu’ils soient cachés. Dans la culture japonaise, on aime les ombres. »

Quelle signification pour quel tatouage ?

Choisie en référence au système de valeurs prétendument incarné par leur style de vie (obéissance, loyauté, entraide…), l’esthétique des motifs puisent généralement son inspiration dans le folklore japonais, qu’il s’agisse de l’histoire du pays, de sa religion, de ses mythes ou encore de sa faune et sa flore.

Voici les principaux.

La carpe Koi

L’un des symboles les plus répandus chez les yakusas. Ce poisson coloré, dont certaines espèces sont très prisées par les collectionneurs, représente le triomphe face à l’adversité. Signe de persévérance et de motivation, il indique que son porteur a traversé des épreuves difficiles, raison pour laquelle elle est souvent dessinée remontant des eaux à contre-courant.

La carpe Koi est également synonyme de chance et de bonne fortune.

Le dragon

Très présent dans l’imagerie asiatique, il symbolise au Japon la sagesse et la bravoure. Contrairement à l’Europe où il renvoie principalement aux notions de puissance et d’énergie, il est ici loué pour son rôle de protecteur de l’humanité.

Notez que chez les yakuzas la couleur affine le sesn du motif : un dragon noir met l’accent sur l’expérience, un dragon vert sur la nature, un dragon doré sur la vertu de l’individu.

Le phénix

Connu pour sa capacité à renaître de ses cendres, cet animal mythologique renvoie aux notions d’immortalité et de triomphe.

Après on peut toujours se dire que certains yakuzas sont secrètement fans du personnage d’Ikki dans Les Chevaliers du Zodiaque

Le serpent

Un tatouage recouvrant très souvent tout ou partie du corps. Il peut être interprété de différentes manières selon les vices et les vertus qui lui sont attribués. Emblème de sagesse et de pouvoir pour les uns, il peut aussi être considéré comme un signe de mauvaise fortune (maladie, catastrophe…) pour les autres.

Il existe également une version intermédiaire qui assimile la capacité de régénérescence du serpent à une forme de sagesse acquise après une série de mauvaises décisions.

La fleur de cerisier

Incontournable au Japon, la « sakura » symbolise la vie, tant pour son essence que pour son caractère éphémère.

Rares sont les yakuzas tatoués qui n’arborent pas au moins une branche.

Le samouraï

Sans surprise, un signe qui met l’accent sur la férocité, le devoir et surtout l’honneur.

Toujours prompts à se donner le beau rôle, les yakuzas aiment se voir comme les héritiers des samouraïs, chacun suivant d’ailleurs un code qui lui est propre : le Bushido (« la voie du guerrier ») pour les samouraïs, le Gokudo (« la voie extrême ») pour les yakuzas (Tu n’offenseras pas les bons citoyens, Tu devras obéissance et respect à ton supérieur, En prison tu ne diras rien, etc.).

Le masque Oni

Sorte d’ogre ou de démon dans la culture populaire, il est chez les yakuzas un bourreau dont le rôle est de punir ceux qui ont enfreint le code de l’honneur.

Synonyme de punition ou de vengeance donc.

Le tigre

Animal noble, solitaire, fort et courageux, il protège des démons et des maladies. Tout comme le chien lion qui garde les temples bouddhistes, il symbolise par extension la longévité.

La pivoine

Reine des fleurs, elle n’est pas pour les yakuzas signe d’élégance ou de santé, mais signe de prospérité.

Certains la voient également comme un emblème de virilité.

Les crânes

À la différence de nos contrées où la tête de mort n’a pas bonne presse, il s’agit ici de représenter le cycle de la vie de manière positive (le changement, le respect des ancêtres…).

Quid du tatouage chez les yakuzas en 2020 ?

Si l’on en croit Jake Adelstein, auteur du best-seller Tokyo Vice publié en 2009 et qui sera très prochainement adapté en série sous la férule de Michael Mann, le yakusa moderne tient désormais « plutôt du banquier à la Goldman Sachs avec un flingue » que du gangster de cinéma.

Criminel en col blanc, il privilégie l’infiltration à l’ostentation, quitte à délaisser certaines traditions – et éviter ainsi de se faire démasquer en cavale à cause de ses tatouages comme en 2018 l’ancien boss Shigeharu Shirai.

Ironiquement, là où les jeunes générations fréquentent de plus en plus les salons de tatouages, il est estimé qu’un quart des 30 000 yakuzas officiellement recensés sont aujourd’hui vierges de toute trace d’encre.

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