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Ces rappeurs français qui ont explosé sur un feat [DOSSIER]

Ces rappeurs français qui ont explosé sur un feat [DOSSIER]

Il existe des dizaines de manières différentes de percer dans le rap : en inventant son propre style de musique, en créant une polémique absurde, en charbonnant pendant des années, en utilisant sa notoriété dans un autre domaine pour se reconvertir dans la musique, en mettant en avant ses mésaventures judiciaires, ou en sachant innover aussi bien sur le plan de la musique que de la communication – dans tous les cas, il faut tout de même garder à l’esprit que 90% de la réussite n’est qu’une affaire de chances et d’opportunités saisies au bon moment. Evidemment, aucune de ces méthodes ne présente de garanties absolues, mais il existe un raccourci potentiel vers le succès : le featuring avec une star déjà bien établie. Un coup de projecteur qui, s’il est correctement exploité, peut représenter un véritable tournant dans une carrière, et transformer un simple intermittent du spectacle en nouvelle tête d’affiche, voire même en star internationale.

Certains ont su exploiter leur seule et unique occasion de partager la lumière avec une vedette pour arracher le projecteur et se l’approprier. De la Fonky Family à Kalash Criminel en passant par Kamelancien et Kaaris, retour sur ces rappeurs qui ont explosé suite à un featuring.

Kaaris – Kalash feat Booba

La carrière de Kaaris avant Kalash : Loin d’être un inconnu avant 2012, Kaaris a connu une carrière en dents de scie depuis ses débuts en 1999. Après un premier projet solo en 2007, 43ème Bima, il écume les featurings avec de nombreux rappeurs plus ou moins importants à la fin des années 2010 : Despo Rutti, Smoker, Alkpote, Brasco, Nubi… Après un premier avec Booba sur Autopsie Vol.4 en 2011, il fait un grand pas en avant avec le street-album Z.E.R.O, qui l’installe comme une valeur sûre du game français, sans pour autant lui permettre d’atteindre le grand public.

Le feat en question : Kalash. Conscient du potentiel incroyable de Kaaris, Booba invite à nouveau Kaaris à collaborer sur un titre de l’album Futur, en 2012. Et lorsque le disque leak quelques jours avant sa sortie officielle, et alors que tout le monde attend surtout beaucoup de la collaboration Booba/Rick Ross, c’est principalement le couplet de Kaaris qui retient l’attention des auditeurs.

Pourquoi le feat a si bien fonctionné : D’une part, parce que Kaaris a réellement élevé le niveau sur ce titre, en posant l’un des couplets les plus marquants du rap français des années 2010 – d’autant qu’aucun des artistes appelés à collaborer avec Booba lors des années précédentes n’avait réellement su impressionner le public. Une légende – complètement invérifiable – raconte même que Booba aurait réécrit son troisième couplet pour rivaliser avec Kaaris. D’autre part, parce que Kaaris a incroyablement bien géré l’après-Kalash, s’en servant d’un détonateur pour enchaîner rapidement avec un album de très haut niveau, tout en développant parfaitement son personnage en interviews.

La carrière du rappeur après le feat : Deux disques de platine, un disque d’or, un statut de superstar du rap hexagonal, un début de carrière cinématographique … Kaaris a suffisamment fait aujourd’hui pour s’être définitivement détaché de la caricature du « rappeur ayant explosé grâce à un gros feat ». D’ailleurs, aujourd’hui, c’est lui qui a pris le rôle de la vedette capable de mettre la lumière sur des rappeurs moins exposés.

Kalash Criminel – Arrêt du Coeur feat Kaaris

La carrière de Kalash Criminel avant Arrêt du Coeur : Rappeur intermittent au sein du groupe Hall14, la carrière solo de Kalash Crimi commence réellement en fin d’année 2015, avec les titres 10-12-14 Bureau et Sauvagerie 1 et Sauvagerie 2. Rappeur prometteur, il lui manque alors un palier à franchir pour exploser définitivement. Un palier franchi en milieu d’année 2016 grâce au titre Arrêt du Coeur.

Le featuring en question : Arrêt du Coeur. Kalash Criminel, qui vient alors de signer chez Def Jam France, n’arrive pas avec la prétention de déclasser Kaaris – qui signe (encore) un couplet monstrueux – pour impressionner le public, mais simplement de se présenter à un plus large public. Sa prestation très brute résume ainsi parfaitement tout son personnage et toute sa musique : sauvagerie, armes automatiques, quelques mots sur Obama et sur l’Afrique. Ajoutez à cela un clip simple mais efficace impliquant quelques sevranais excités, un canapé posé au milieu d’un hall, trois plans d’une demi-seconde sur un gros cul, et un cadavre de gamos, et le tour est joué.

Pourquoi le feat a si bien fonctionné : Un mec cagoulé qui déborde de violence gratuite, un barbu qui lance le concept de limonade de chatte, le tout une une prod assez exceptionnelle signée du duo Half Moon Beats / Di Cee La 25eme : tous les ingrédients étaient réunis pour engranger les millions de vues.

La carrière de Kalash Crimi après le feat : Arrêt du Coeur ayant permis à Kalash Criminel de toucher un public plus large que sa fan-base, il attire la curiosité des auditeurs de rap français, et notamment de tous ceux qui sont décontenancés par son écriture plutôt atypique. S’il est encore trop tôt pour juger sa carrière, celle-ci semble en tout cas plutôt bien lancée, et en constante progression.

Kamelancien et Sefyu – Code 187 feat Rohff et Alibi Montana

Avant le feat : Kamelancien débute dans le métier, et en dehors de quelques freestyles éparses, son seul titre sorti officiellement est alors l’incroyable Rap de Ben Laden sur la compilation Talents Fâchés – évidemment, le contexte à l’époque était très différent, et si vous êtes rappeur, on vous déconseille très fortement de vous lancer dans une reprise de ce morceau en 2017. Sefyu, de son côté, a lui aussi participé à la compilation Talents Fâchés le temps d’un gros featuring avec Rohff et Dry. Malgré quelques titres parus ci et là, et une première partie de carrière avec son groupe NCC, il est encore complètement inconnu du grand public.

Le feat en question : Code 187. L’un des meilleurs titres de l’un des meilleurs albums de l’histoire du rap français. Associés à Rohff, déjà une star du rap français, et à Alibi Montana, fer de lance de l’indépendance, Kamelancien et Sefyu marquent tous deux le public par leurs styles respectifs très atypiques : Kamelancien évoque (encore) Ben Laden, Al Qaida, et les rues de Baghdad, tandis que Sefyu débarque avec son flow si particulier et un texte composé à moitié de bruitages.

Pourquoi le feat a si bien fonctionné : Sur un tel album, de nombreux titres marquent le public. Kamelancien et Sefyu, que la plupart des auditeurs découvrent sur Code 187, suscitent la curiosité car ils ont tous deux un style, des textes, et des timbres de voix qui se démarquent du reste des rappeurs déjà connus.

Les carrières de Kamelancien et Sefyu après ce feat : S’ils n’enchainent pas forcément directement après cette apparition sur La Fierté des Notres, les deux rappeurs ont suffisamment marqué le public pour intriguer, et continuent à charbonner avec des featurings (Rohff, Jacky Brown, LMC Click pour Kamel ; Seth Gueko, Ol Kainry, Samat du côté de Sefyu), et le même schéma pour chacun d’entre eux : une mixtape, puis un album. Tous deux connaissent un succès important lors de la deuxième moitié des années 2000, puis disparaissent progressivement ensuite – au point de devenir un véritable énigme dans le cas de Sefyu.

Damso – Pinocchio feat Booba et Gato da Bato

Avant le feat : Membre du groupe OPG, un groupe bruxellois plutôt productif pendant la première moitié des années 2010 – une période où la scène belge n’intéresse malheureusement pas en dehors de ses frontières -, Damso monte doucement mais surement à travers quelques titres solo envoyés sur Youtube de temps à autre, se créant une belle réputation mais souffrant d’une exposition très limitée.

Le feat en question : Pinocchio, un titre plutôt représentatif de la couleur de Nero Nemesis : de la trap bien sombre sur laquelle Booba et ses invités balancent un nombre incalculable de saloperies – « Pas besoin de pilule du lendemain, j’te crache dans l’nez » ou encore « t’es passé partout comme la chatte de Shy’m ».

Pourquoi le feat a si bien fonctionné : Le couplet de Damso a particulièrement marqué le public de Booba, un peu à la manière de celui de Kaaris sur Kalash – dans une moindre mesure, évidemment. Surtout, le belge a parfaitement géré la suite des évènements, en enchainant deux albums coup sur coup et en excellant dans la communication.

La carrière de Damso après ce feat : Un disque d’or pour Damso dès le premier album, suivi d’un double-platine et d’une quantité phénoménale de records en streaming … Jusqu’ici, c’est plutôt pas mal.

Benash – Validée feat Booba

Avant le feat : Benash était noyé dans la masse au sein de la SDHS Family, ancêtre du 40000 Gang, un groupe encore très confidentiel.

Le feat en question : Validée, un titre qui était à la base prévu pour l’album de 40000 Gang, et que Booba aurait, selon la légende, récupéré pour en tirer tout le profit, comme tout bon méchant au cinéma – dans d’autres versions, il s’agirait d’un titre Booba – Benash – El Khmer, duquel ce dernier aurait été éjecté suite à des mésententes avec le second. Dans tous les cas, voir Benash apparaitre sur un titre aussi fruité est à mille lieux de son image et de sa musique à l’époque. Quoi qu’il en soit, malgré une réception très mitigée au départ, Validée devient rapidement un véritable tube, et finit par devenir l’un des deux plus gros succès de l’album Nero Nemesis – le second étant évidemment 92i Veyron.

Pourquoi le feat a si bien fonctionné : Parce que la puissance médiatique de Booba est telle qu’il pourrait permettre à n’importe quel inconnu de devenir une star du rap.

La carrière de Benash après ce feat : Un début de carrière solo mitigé, avec un premier album qui ne décolle pas forcément sur le plan des ventes, et des singles qui ne fonctionnent vraiment que lorsque Booba est invité – un million de vues pour chacun de ses clips en moyenne, douze fois plus pour la seule version audio du titre Ghetto. Excellent en tant que sidekick, donc, reste à se poser la question de la meilleure configuration pour Benash : uniquement en solo ou en groupe au sein d’un album commun 92i ? En outre, doit-il se concentrer sur un rap dur et brutal, ou miser uniquement sur des titres plus légers, qui semblent mieux fonctionner ? Beaucoup de questions, mais la carrière du rappeur n’en est qu’à ses débuts, et il a encore tout le temps d’y répondre.

Fonky Family – Bad Boys de Marseille feat Akhenaton et Shurik’n

La carrière de la FF avant ce feat : Quasiment inexistante, en dehors de quelques concerts et d’un ou deux titres éparpillés

Le feat en question : Bad Boys de Marseille. Un titre magistralement produit, sur lequel le duo Shurik’n / Akhenaton (qui pose là l’un de meilleurs couplets de sa longue carrière) sublime l’ambiance de la cité marseillaise de l’époque, et son atmosphère qui nous semble aujourd’hui plus proche de Gomorra que de Plus Belle la Vie. Le plus impressionnant sur ce titre reste peut-être la faculté des différents membres de la FF à livrer toute la quintessence de leurs styles respectifs en quelques mesures seulement.

Pourquoi le feat a si bien fonctionné : Parce qu’IAM en 1995 est l’équivalent de PNL aujourd’hui : chaque album est un classique instantané, les disques de platine pleuvent, et les clips tournent en boucle sur les écrans.

La carrière de la FF après ce feat : A priori vous le savez déjà, mais si vous avez moins de vingt ans, il est possible que vous ne sachiez même pas que le mec posé à côté de Jul sur la cover de Je ne me vois pas briller est Le Rat Luciano. Pour résumer très grossièrement, donc : après ce featuring, la FF va rapidement devenir l’un des plus gros groupes de rap en France, avec un succès monstrueux pendant plus de cinq ans. Le groupe se sépare en 2007.

Lord Kossity – Ma Benz feat Suprême NTM

La carrière de Lord Kossity avant ce feat : Actif depuis le début des années 90 principalement par le biais de sound systems, il passe sa jeunesse à voyager entre la banlieue parisienne et Fort-de-France. Sa carrière connait des débuts prometteurs en Martinique, et son nom commence à tourner, notamment sur quelques compilations orientées ragga/dancehall. Après quelques featurings intéressants sur son premier album, notamment avec Daddy Mory et Doudou Masta, il fait la rencontre qui va changer sa vie : Joeystarr.

Le feat en question : Ma Benz, l’un des plus gros tubes de l’histoire du rap français, tout simplement. A l’époque, NTM a l’image d’un groupe subversif, aux thèmes plutôt sombres et souvent politisé. Ma Benz est tout le contraire : textes hyper-sexualisés, filles en petite tenue dans le clip – au point de voir le CSA intervenir pour le censurer en télévision avant minuit – et ambiance très légère.

Pourquoi le feat a si bien fonctionné : NTM est alors au top de sa gloire, et tout ce que font Kool Shen et Joeystarr se transforme en or -ou en affreuse polémique médiatique, qui finit par servir le groupe plutôt que le desservir. L’album éponyme « Suprême NTM » est un raz-de-marée, auquel il n’aurait manqué qu’un single suffisamment ambiançant : Ma Benz joue parfaitement ce rôle, et la prestation de Lord Kossity marque tellement que le grand public (encore peu à l’aise avec le rap) a alors tendance à le confondre avec Joeystarr, ou à le prendre pour un troisième membre du Suprême.

La carrière de Lord Ko’ après ce feat : Profitant du succès phénoménal du titre Ma Benz, Lord Kossity tente de rééditer son premier album, sorti trois ans plus tôt. Bien tenté, mais ça ne fonctionne pas. Pas découragé, il charbonne en enchainant tournées, apparitions auprès de B.O.S.S et IV My People, participations aux compilations rap français et featurings avec des têtes d’affiches. Son style, à mi-chemin entre le rap, le ragga et le dancehall, finit par s’imposer et même faire un véritable carton au début des années 2000. Même s’il ne restera pas éternellement une star en France, il réussit parfaitement à négocier la suite de sa carrière, en s’imposant notamment en Jamaïque et en enchainant des collaborations avec des artistes aussi variés que Shaggy, Jacky Brown et Clara Morgane.

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