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Ces albums communs qui font rêver le rap français [DOSSIER]

Ces albums communs qui font rêver le rap français [DOSSIER]

Très répandus et populaires aux Etats-Unis, les albums communs entre deux rappeurs sont beaucoup plus rares en France…

Le rap français se voit souvent reprocher son manque d’ouverture, particulièrement en ce qui concerne les collaborations entre des têtes d’affiche. Pendant longtemps, les portes étaient bien souvent fermées au dépend de toute logique commerciale. Dernièrement, des nouveaux venus comme Gradur se sont empressés de les enfoncer et de collaborer avec la quasi-totalité des rappeurs à succès de l’hexagone, pour notre plus grand bonheur.

La culture des albums communs aux Etats-Unis

Les premiers albums communs apparaissent très rapidement aux Etats-Unis. Le neveu de la chanteuse de R&B Ruth Brown se lance dans le rap sous le nom de Kid Wizard. En 1986, il se renomme Rakim sous l’influence de la Nation of Islam, et la même année enregistre son premier son en collaboration avec Eric B. En 1987, ils sortent leur premier album commun Paid In Full, qui rencontre un énorme succès commercial. Cet opus est encore aujourd’hui, considéré comme l’un des meilleurs albums de l’histoire du rap. La collaboration entre les deux rappeurs s’étend sur 6 ans durant lesquels ils sortiront quatre albums studio. Récemment, la tendance est aux albums communs entre des artistes aux carrières totalement distinctes, comme le fameux Watch The Throne de Kanye West et Jay-Z sorti en 2011, ou la mixtape commune de Future et Drake intitulée What A Time To Be Alive qui sortait il y a à peine deux ans. Le point commun de ces projets réside dans leurs performances commerciales, en effet à l’exception peut être de The Message encore très précurseur, toutes ces collaborations ont été récompensées par un disque de platine. Bien souvent, c’est aussi l’occasion pour les artistes de réaliser une tournée de concerts et plus globalement d’accroitre leur exposition médiatique et leur notoriété.

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En France, quelques rares réussites

Malgré l’éloquence de l’exemple américain, la culture de l’album commun semble avoir soigneusement évité la France et de fait les exemples de collaborations de ce type se comptent sur les doigts d’une main. Dans l’hexagone, les groupes et duos de rappeur semblent avoir une fâcheuse tendance à se séparer après quelques albums, et dans le même élan d’individualisme les têtes d’affiches semblent répugner à se mélanger le temps de quelques morceaux. Bien sûr, on peut trouver de rares exceptions à cette règle, l’un des premiers albums communs français est Le retour de l’âme soul, résultat de la collaboration de Faf Larage, K-Rhyme le Roi et Def Bond, trois artistes gravitant autour du groupe IAM, au sein du collectif Soul Swing. Par la suite, en 2005 voient le jour Ol’ & Dan, album commun réunissant Dany Dan des Sages Poètes de la Rue et Ol’Kainry, et Rue, collaboration entre LIM et Alibi Montana qui sont alors les deux têtes de proue du rap indé en France.

https://www.youtube.com/watch?v=qli1JnfzMYo

De retour dans le sud de la France, K-Rhyme le Roi récidive et collabore avec Freeman d’IAM (juste avant que ce dernier n’annonce sa sortie du groupe) au sein du duo MC Arabica sur l’album L’égalité dans la différence. Peu de temps après, Zekwe Ramos, Alkpote et Seth Gueko sortent Néochrome Hall Stars, un projet commun qui connaitra un grand succès d’estime mais un succès commercial plus limité. Toujours dans la galaxie d’IAM, la collaboration d’Akhenaton et Faf Larage en 2011 sur We Luv New-York rencontre également peu d’enthousiasme. En revanche,la même année, Nekfeu et Alpha Wann sortent la net-tape En sous-marin qui contribue largement au succès futur des deux rappeurs. En 2013, LIM et Alibi sont de retour sur Rue 2, suivi de peu en 2014 par le retour d’Ol’ Kainry et Dany Dan sur Saison 2. Dernièrement, Kery James a annoncé en avril 2016 une collaboration avec Médine et Youssoupha, collaboration qui avait été évoquée après leur featuring Contre Nous sur l’album Dernier MC de Kery, avec comme nom de groupe « La Ligue ».

En 2012, les rappeurs marseillais Soprano et REDK sortent E=2MC’s un projet qui connaitra un certain succès mais surtout qui rétrospectivement s’impose comme l’un des meilleurs albums communs de l’histoire du rap français. Pour REDK, la recette d’un album commun réside d’abord dans la proximité entre les artistes: « Je pense que ce genre d’album ne peut se faire que s’il y a une certaine affinité entre les deux artistes. Moi par exemple, j’aurai pas pu le faire avec n’importe qui. » C’est cette proximité qui permet de mettre de côté les égos de chacun, « c’est une nouvelle couleur, la mienne et la sienne qui fusionnent et qui donnent quelque chose de nouveau ».

Qui dit réflexion dit stratégie, et tous ces trucs parasitent à mort

Le récit de E=2MC’s c’est surtout celui d’une collaboration née dans la spontanéité: « Pour être hgonnête, l’idée vient même pas de nous. je me rappelle qu’à l’époque, on se butait à Eminem et Royce da 5’9 et je sais pas si c’est l’effet des morceaux de cet album, mais il y en a un dans l’équipe qui a dit, putain un album de Soprano et REDK ça pourrait tuer. Qui dit réflexion dit stratégie, et tous ces trucs parasitent à mort. Je reste persuadé que la musique reste de l’instinct, du pur feeling. C’est exactement dans cet état d’esprit qu’on était quand on a fait l’album. » Cet aspect spontané se retrouve jusque dans le choix du concept de l’album: « on était en train de chercher un nom pour le projet, on commence à balancer des trucs, et moi pour vanner je dis E=2MC’s. Dans la foulée, Sopra trouve la pochette, et d’un coup c’est parti, tout le monde a validé. Ca symbolise vraiment bien le projet. »

Ces albums communs qui font rêver les auditeurs

Jul/Alonzo

La collaboration entre les deux MC’s marseillais commence en 2015 avec le titre Normal extrait de la mixtape d’Alonzo Capo dei capi Vol. 1. Le morceau rencontre un succès phénoménal, d’autant plus qu’après le départ de Jul de son ancien label Liga One la même année, Normal se trouve être le seul clip accessible de Jul sur YouTube. Comme d’hab sort la même année sur le premier album de Jul sur son label d’Or et de Platine, My World, qui sera également son plus gros succès commercial. Suivent en 2016 Ils le savent, extrait d’Avenue de Saint-Antoine d’Alonzo, et On nique tout. En quatre morceaux seulement, les deux artistes cumulent plus de 100 millions de vues sur YouTube… L’alchimie entre Alonzo et Jul est telle que le souhait d’un projet commun a souvent été exprimé par leur public, cependant rien ne laisse supposer que ces espoirs se voient concrétiser un jour. Cependant, au vu de la productivité de Jul et de la fréquence des collaborations entre les deux rappeurs, on peut estimer que même en l’absence de projet officiel d’ici 2020 leurs 12 featurings pourront être mis les uns à la suite des autres pour former le projet tant attendu.

Lacrim/SCH

On n’a rien décidé, mais ça pourrait se faire. Ca serait chouette.

SCH est prompt à admettre qu’il doit une bonne partie de sa mie en lumière à Lacrim, d’ailleurs il connait son premier gros succès sur un remix d’On fait pas ça fin 2014. En juin 2015, il apparaît sur R.I.P.R.O. Vol. 1 aux côtés de Sadek, il signera la même année dans le même label que Lacrim, chez Def Jam. Peu après, le rappeur marseillais dévoile le clip de leur collaboration clef, Liquide, qui contribue très certainement au succès de la mixtape A7. Leur dernier featuring en date, Ca Va, fait l’objet de controverses du fait de la troublante ressemblance avec le morceau d’une rappeuse anglaise sorti un an auparavant. Quoi qu’il en soit, SCH et Lacrim forment un duo depuis maintenant 3 ans et outre leur proximité, ils semblent avoir cette capacité à se mettre mutuellement en valeur, une chose qui fait si cruellement défaut à la majorité des projets communs français. Avec son univers atypique, SCH est capable d’apporter une vraie valeur ajoutée à l’énergie de Lacrim, et l’inverse est également vrai. Plus concret cette fois, dans une interview dans l’émission de Pascal Cefran sur Le Mouv‘, le rappeur affirme qu’un album commun serait envisageable.

Ninho/Timal & Hornet la Frappe

Ninho fait ses premières armes sur Daymolition avec les freestyles 18% et 3ème Guerre Mondiale en 2014, et commence à susciter un véritable engouement pendant l’été 2015 avec plusieurs sons dont Nae Nae Freestyle et Mal Luné. Cette notoriété lui donne l’exposition nécessaire pour cumuler des millions de vues sur sa série de freestyles Binks To Binks en quatre parties. Fin 2016, il sort la mixtape M.I.L.S. qui est certifiée disque d’or. Comme Ninho, Hornet la Frappe sort ses premiers sons sur YouTube en 2014, notamment le freestyle Mama J’y Vais. En 2015, il est exposé au grand public par sa participation à la OKLM Mixtape. Ses derniers morceaux, notamment Gramme 2 Peuf et Nos Vies, rencontrent un véritable engouement et lui permettent d’acquérir une véritable identité artistique. Plus récemment, Timal connait aussi un certain succès sur Youtube et notamment au travers de la série de freestyles Rapport depuis 2016. Si rien ne laisse penser à un projet commun ou même un featuring, leurs liens mutuels à travers Daymolition et leurs différentes collaborations avec Fianso permettent de garder espoir…

Cheu-B/Leto

Cheu-B fait son chemin au sein du groupe XV Barbar, on retrouve ses premiers couplets sur Beckenpower ou encore Marvel, il se démarque peu à peu par son utilisation de l’autotune notamment sur les refrains de Vagabendo sur l’album Le gun et la rose. Après 2015, les membres du groupe entamment des carrières séparées, Cheu-B sort plusieurs freestyles début 2016 puis rencontre du succès avec La capitale est prise et Tommy Egan. Leto est issu du même quartier que Cheu-B, dans le 17ème arrondissement de Paris, il débute en revanche au sein du duo PSO Thug qui connait ses premiers succès avec Obligé de charbonner et Bienvenue dans le XVII. Peu à peu, Leto apparait en featuring avec d’autres rappeurs tels que Ninho, Sadek, GLK, Sfera Ebbasta, Alkpote, etc. Leto et Cheu-B n’ont collaboré en solo que sur deux sons, Légendaires et Boston Georges. Cheu-B joue auprès de Leto le même rôle qu’Aero au sein de PSO Thug, celui de vecteur de musicalité, il apporte les formes aux morceaux. Leto lui donne une énergie aux collaborations qui fait contraste avec le flow lent de Cheu-B.

Damso/Booba

Damso fait de plus en plus parler de lui ces temps-ci, alors que son album Ipséité connait un succès fulgurant. Le rappeur belge ne s’en cache pas, sa carrière est inextricablement liée à Booba qui le met en lumière pour la première fois sur la OKLM Mixtape avec le morceau Poséidon, avant de le faire poser sur son album Néro Némésis de façon totalement inattendue. Depuis, Damso placé sur le devant des projecteurs concrétise le succès timide de ses premières apparitions pour le transformer en disque de platine, bien entouré par le label 92i. Après la sortie de son premier album Batterie Faible, Damso sort des extraits sur ses réseaux sociaux pour maintenir l’attention du public. Parmi ces extraits, Paris c’est loin rencontre l’approbation générale, ce qui pousse Booba à en faire sa deuxième collaboration avec le rappeur bruxellois. Malgré leur nombre restreint, les collaborations entre Booba et Damso se sont révélées extrèmement réussies, et au-delà c’est à la fois des similitudes dans l’écriture et la musicalité dans Batterie Faible (sur Bruxelles Vie, ou Périscope) et le tournant très personnel de Damso sur Ipséité qui rendent l’éventualité de cette collaboration très alléchante.

Nekfeu/Guizmo

Nekfeu et Guizmo font leurs premières apparitions côte à côte au sein de l’Entourage, notamment au sein des Rap Contenders. Leurs collaborations sur Sales babtous de négros, Baptême de l’air et Enfants de la patrie sont excellentes, mais rapidement Guizmo sort des rangs de l’entourage. Du fait de la compétition entre deux rappeurs à l’avenir prometteur, mais aussi apparemment d’une incompatibilité de caractères, Nekfeu et Guizmo vont rapidement s’opposer par le biais de clashs indirects ou directs. Cependant, alors que Guizmo tiré par ses problèmes personnels vers un univers de plus en plus sombre et cru s’éloigne du grand public, Nekfeu devient de plus en plus populaire. Résultat, Nekfeu se propulse parmi les nouvelles têtes d’affiches du rap français et réalise des ventes extraordinaires avec ses albums Feu et Cyborg. Malgré un léger réchauffement des relations entre les deux rappeurs récemment, il semble hautement improbable qu’une quelconque collaboration voie le jour, et ce pour notre plus grand regret car les antagonismes entre Nekfeu et Guizmo auraient nourri un moment musical très fort.

Booba & Kaaris

Les antécédents du duo remontent à 2010 avec l’apparition de Kaaris dans le clip Abracadabra de Booba, suivie dès 2011 par Criminelle League sur la mixtape Autopsie Volume 4. Leur collaboration qui restera dans tous les esprits aura lieu à peine un an plus tard, il s’agit du morceau Kalash extrait de l’album de Booba Future. Le public découvre à cette occasion Kaaris, avec des phases mythiques comme « Elle pense que je suis en train de la doigter / Je lui mets mon gros doigt de pied » qui lui donnent d’emblée une image de rappeur hardcore avec des textes très crus et imagés. Les deux rappeurs sont très à l’aise sur la trap qui commence alors à devenir prépondérante en France. Fin 2013, Kaaris sort Or Noir qui contient un dernier featuring avec Booba, L.E.F. L’album connait un succès énorme, mais rapidement Kaaris et Booba s’éloignent puis finissent par s’embrouiller complètement après un freestyle Skyrock du rappeur de Sevran que Booba interprète comme un clash. Selon toutes les probabilités, le rap français ne connaitra malheureusement jamais d’album commun entre Booba et Kaaris, qui semblent irréconciliables.

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Parfois évoqués au détour d’une interview, le plus souvent rejetés avec force, les albums communs sont encore aujourd’hui soigneusement évités par les rappeurs français, raison pour laquelle la plupart des collaborations évoquées ci-dessus n’aboutiront jamais à un tel projet. Cependant, l’émergence d’une génération d’artistes plus ouverts aux collaborations et, peut-être, la mise en place d’un star-system à l’américaine, pourraient à terme favoriser le développement de ce genre d’idées. Outre l’intérêt évident pour les amateurs, les albums communs sont pour les artistes un moyen d’étendre leur audience, et donc de développer leurs performances commerciales et de s’ouvrir musicalement à de nouvelles influences.

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