Dossiers

Ce que la critique écrivait sur les classiques US à leurs sorties

Ce que la critique écrivait sur les classiques US à leurs sorties

Il y a ceux qui ont vu juste, il y a ceux qui se sont plantés dans les grandes largeurs…

Comme aimait le répéter à l’époque Lino d’Ärsenik en citant Clint Eastwood dans l’Inspecteur Harry : « Les avis c’est comme les trous du c*l, tout le monde en a un ».

Dès lors, pourquoi donc faudrait-il s’intéresser à ce que pense tel ou tel critique de tel ou tel album, et ce d’autant plus à l’heure du digital où la musique est accessible sans avoir à lâcher un billet au préalable ?

Sans compter qu’hier comme aujourd’hui, les professionnels de l’écoute ne sont pas exempts de certains reproches comme le copinage ou le snobisme, quand ce n’est pas une franche incompétence (coucou les critiques rock qui critiquent le rap).

Et bien parce que malgré tout la critique a son rôle.

N’en déplaisent aux marchands qui voudraient réduire les produits culturels à de purs biens de consommation, les goûts et les couleurs ça s’éduque.

Faire découvrir une œuvre, la mettre en perspective, guider son écoute… la critique est là, non pas pour dire au lecteur/auditeur quoi penser, mais pour l’aider à construire son avis.

Et c’est dans cette optique que doit être lu l’article qui suit : non pas pour trouver une vérité présente ou passée, mais plutôt pour affiner son libre-arbitre.

À LIRE AUSSI 
2010-2019 : les 10 albums qu'il faut avoir écoutés

Efil 4 Zaggin des N.W.A.

Sorti le 28 mai 1991 sur Ruthless/Priority.

Moins connu que Straight Outta Compton sorti trois ans auparavant, ce second essai des Niggers With Attitude n’en est pas moins beaucoup plus recherché dans les productions, Dr. Dre et DJ Yella ayant fait le choix de la musicalité en privilégiant l’utilisation d’instruments plutôt que de sampler à tout-va.

[Sans Niggaz 4 Life, pas de Chronic quoi.]

Reste qu’à l’époque ce qui le plus marqué les esprits, ce sont les deux millions de copies écoulées en dépit d’un contenu des plus caricatural et d’une misogynie difficilement supportable.

Interloqué, Billboard estimait ainsi que le succès de la bande à Eazy-E reposait sur le fait d’attirer les adolescents des classes moyennes blanches aisées en leur proposant « le grand frisson sans prendre aucun risque ».

Le très hip hop The Source lui ne cachait pas son malaise : « Certes, il est en généralement bien vu parmi les white kids d’apprécier les N.W.A. et de s’identifier à eux, mais cela n’empêche pas la majorité de la communauté noire de ne pas les apprécier. Il y beaucoup de rap fait de manière intelligente et positive, mais N.W.A. représente ce qu’il y a de plus négatif dans le genre. »

Encore plus cru, The Time a qualifié l’album de « grotesque », non pas pour supposément porter atteinte à l’ordre public, mais pour perpétuer des stéréotypes raciaux de bande dessinée.

« Les rappeurs comme N.W.A. et Public Enemy essayent d’apeurer du mieux qu’ils peuvent l’Amérique blanche (et vendre au passage le plus de disques possibles) en faisant tout pour rendre crédibles ses cauchemars raciaux. »

Ready to Die de The Notorious B.I.G

Sorti le 13 septembre 1994 sur Bad Boy/Arista.

Au même titre que de déterminer qui des Soprano ou de The Wire est la meilleure série de tous les temps, il est très probable que la question de savoir qui de Illmatic de Nas ou de Ready To Die de Biggie est le meilleur album de rap newyorkais de tous les temps le meilleur album de rap de tous les temps demeurera indéfiniment en suspens.

Sur le coup cela n’a cependant pas empêché ni Rolling Stones de sacrer RTD comme « le meilleur album rap solo depuis Amerikkka’s Most Wanted de Ice Cube sorti en 1990 », ni le New York Time de consacrer le disque comme « le portrait d’un dealeur le plus équilibré et le plus honnête de l’histoire du rap ».

Certaines plumes n’ont néanmoins pas su déceler ce classique en devenir.

Sans renier le talent de Biggie, Q Magazine n’a en effet donné que trois petites étoiles sur cinq possibles au projet.

Plus grave, The Source, qui quelques mois plus tôt avait donné la note maximale à Illmatic (un événement à l’époque) s’était cette fois contenté de quatre petits micros sur cinq. Pris de remords, le canard reverra sa copie huit ans plus tard et délivrera cette fois un 5/5 en bonne et due forme.

All Eyes on Me de 2Pac

Sorti le 13 février 1996 sur Death Row/Interscope.

Tout juste libéré après 11 mois passés au placard pour agression sexuelle, c’est peu dire que pour son comeback en studio Tupac Amaru Shakur était déchaîné.

« Peut-être est-ce dû à son séjour en prison, ou peut-être est-ce dû à sa signature chez Death Row et son compagnonnage avec Suge Knight, mais 2Pac revient encore plus dur et plus affamé que jamais » constate AllMusic. Et d’ajouter qu’il « embrasse désormais le style de vie gangsta sans aucune retenue, la sobriété de Me Against The World n’étant plus de mise ».

« À croire que le seul impact que la prison a eu sur lui c’est de faire brûler plus encore son feu créatif » reconnaît le Los Angeles Times, et tant pis si 2Pac est encore « plus venimeux qu’il ne l’était ».

Tout juste Rolling Stone regrette « une personnalité moins complexe » et « des textes moins originaux », même si le magazine n’en surnomme pas moins All Eyes On Me « la version californienne thug du The Wall des Pink Floyd ».

Dans nos contrées enfin (ou a contrario des states on sait très bien que le premier double album de l’histoire du rap est Ombre est lumière d’IAM), Les Inrocks saluent « une œuvre anéantissant toute réserve et tout snobisme de rigueur face à une entreprise au départ largement douteuse ».

2001 de Dr. Dre

Sorti le 16 novembre 1999 sur Aftermath/Interscope.

Sans surprise, le bon docteur Young est salué de toutes parts pour la qualité de ses instrumentales, Entertainment Weekly allant même jusqu’à écrire que « s’il est un producteur qui mérite le titre de compositeur c’est bien lui ».

Autre comparaison flatteuse, quand Orlando Weekly voit en lui « un Michael Jordan des studios capable de rendre son équipe toujours meilleure », Spin prédit qu’à ce rythme il n’est plus très loin des plus grands « comme George Clinton, Stevie Wonder, Duke Ellington ou Miles Davis ».

Spin a en revanche beaucoup moins apprécié les parties rappées, au point de juger « qu’à l’exception des interventions d’Eminem, les moments les plus mémorables sont signés Dre ».

Reproches toujours, outre la misogynie crasse des lyrics (« Dre dégrade les femmes dès qu’il le peut » lit-on dans The Village Voice), A.V. Club refuse de placer ce second solo au même niveau que son essai précédent.

« 2001 n’est absolument pas aussi révolutionnaire que The Chronic a pu l’être, et ce parce que Dre semble plus intéressé à perfectionner sa formule G-funk plutôt que d’aller défricher de nouveaux territoires. »

Mais bon, comme le dit Rap Reviews qui a donné un triomphant 10/10 au projet, « les critiques rap ça va ça vient, les magazines rap ça va ça vient, les artistes eux continuent de faire de la musique quoi qu’il arrive ».

The Marshall Mathers LP d’Eminem

Sorti le 23 mai 2000 sur Aftermath/Interscope.

Album le plus vendu en première semaine de l’histoire de la musique par un artiste solo masculin, si TMMLP n’a pas spécialement emballé la critique, il est intéressant de relever que les reproches lui sont adressés ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux qui lui sont faits ces dernières années.

Spin trouve « marrant que tant de controverse jaillisse autour d’un album qui n’est musicalement pas si bon » avant d’accorder non sans ironie à son auteur le statut de « vrai rappeur platine, alias ces rappeurs en mesure de rimer brillamment sur des instrus aussi médiocres que frustrantes ».

Guère plus admiratif, L.A. Weekly nous la joue avant l’heure « Eminem c’était mieux avant » en estimant le rendu cette fois-ci « moins fun que The Slim Shady LP ».

Pour Sonicnet, « le problème c’est la tracklist qui s’éternise principalement à cause du fait que le jeune ‘Master Mathers’ gaspille son esprit et son intelligence pour tonner contre ses adversaires réels ou imaginaires, comme si c’était la seule chose qu’il savait faire. »

Un peu isolé sur ce coup, le Los Angeles Times se scandalise de l’homophobie des paroles : « Peu importe si elles sont ou non ‘de rigueur’ (en français dans le texte) dans le rap commercial, elles n’en sont pas moins inacceptables ».

Country Grammar de Nelly

Sorti le 27 juin 2000 sur Fo’ Reel/Universal.

Aujourd’hui médaille d’argent des pires albums rap vendus à dix millions d’exemplaires (la première marche du podium étant réservée sans contestation au Please Hammer Don’t Hurt Em de MC Hammer), le tout premier solo de Nelly Nell’ avait paradoxalement séduit la critique au début du siècle.

Pour peu que l’on ne le confonde pas « avec un activiste du hip hop ou un type qui aime à réfléchir », Rap Reviews soulignait en effet l’efficacité de son duo avec le producteur Jason ‘Jay E’ Epperson qui enrobait l’album d’une homogénéité bien trop souvent absente du rap depuis la disparition du combo emcee/DJ.

Même son de cloche chez Entertainment Weekly, qui observe que si les sempiternels trois mêmes sujets traités dans les textes de rap ne sont pas l’apanage des côtes est et ouest, il est difficile de nier l’aspect « contagieux » de la voix et du flow du natif de Saint-Louis.

Loin de déplaire, ses origines sudistes accentuent au contraire « l’hédonisme » du projet (Consumer Guide), quand elles ne lui donnent pas carrément un côté « décontracté » (People).

Moins mesuré enfin, New Musical Express n’hésitait pas à couronner « Country Grammar album de l’année » !

The Blueprint de Jay Z

Sorti le 11 septembre 2001 sur Roc-A-Fella Records/Def Jam Recordings.

Chef d’œuvre de la discographie du Jéhovah du rap, ce premier Blueprint avait habilement revitalisé sa carrière notamment grâce au choix de confier l’architecture sonore à la triplette Just Baze/Kanye West/Blink.

« Loin d’un précédent S.Carter froid, futuriste et minimaliste, le son est ici plus organique, ancré dans la soul et la funk des années 60 et 70 » peut-on ainsi lire chez A.V. Club.

Conséquence, là où « chaque piste sonne comme un tube » pour Uncut, The Source certifie le disque « instant classic » avec cinq micros !

Certains sont cependant restés sur leur faim, comme Entertainment Weekly qui déplore des paroles pas forcément au diapason (« Pour un rappeur qui représente ‘le siège sur lequel Rosa Parks s’est assise’ on était en droit d’espérer plus que ça »).

Plus surprenants, Dot Music et Pitchfork insistent tous deux sur le manque de créativité de l’exercice, les seconds allant même jusqu’à proclamer que « The Blueprint est probablement l’album de rap classé en haut des charts musicalement le moins inventif de ces dernières années ».

Hein ?!

Get Rich or Die Tryin’ de 50 Cent

Sorti le 6 février 2003 sur Shady/Aftermath/Interscope.

Pour celles et ceux qui n’ont pas assisté en direct à l’avènement du roi Fifty, voici comment The Guardian analysait le phénomène : « Près d’un million d’américains sont allés acheter Get Rich Or Die Tryin’ dans les quatre jours qui ont suivi sa sortie. Bon nombre d’entre eux avaient beau ne pas savoir grand-chose sur le disque, ils l’ont acheté quand même, car comme DMX, ce qui fait l’attrait de Curtis Jackson n’est pas tant sa musique que le spectacle macabre auquel il s’adonne. »

« Achetez son CD avant que quelqu’un ne le tue, ce sera en soi toujours plus exaltant que de vous farcir les avalanches de menaces qui truffent Get Rich Or Die Tryin’. »

Personnage avant d’être un artiste, 50 serait donc « une sorte de John Gotti qui chanterait du Sinatra » pour citer Austin Chronicle.

Alors certes, on peut reprocher à GRODT « son manque d’humour » (Vulture), opiner que « si vous n’êtes pas adhérent de la NRA l’intérêt est somme toute limité » (E! Online), mais il n’empêche que « l’album définit ce qu’est la musique black en 2003 au même titre que We People Who Are Darker Than Blue de Curtis Mayfield le faisait dans les seventies » (BBC).

Ou comme Launch.com l’a résumé : « Pas de quoi tenir la comparaison avec Biggie et 2Pac, mais si vous recherchez ce qui se fait de mieux en matière de gangstérisme et de mélodie, 50 Cent propose la meilleure came du marché. »

The Documentary de The Game

Sorti le 18 janvier 2005 sur G-Unit/Aftermath/Interscope.

Longtemps attendu, moult fois repoussé, quand le premier album du protégé de Dr. Dre, 50 Cent et Jimmy Iovine arrive enfin dans les bacs, il réussit à enthousiasmer public et critique qui pourtant en attendaient beaucoup.

Ou pour citer Spin, « The Documentary a presque tenu ses promesses ».

« Presque », car si il est loué pour « sa puissance ahurissante » par L’Abcdr du Son ou considéré comme « l’un des meilleurs albums rap sorti en major ces dernières années » par la BBC, le projet n’en pâtit pas moins d’un manque de personnalité de son auteur.

« Triomphe de la production et du vécu au détriment de la performance artistique » selon le Los Angeles Times, The Documentary « donne l’impression d’être le plus grand album de fan boy de tous les temps » pour Dot Music.

Pas tendre, Spin va même jusqu’à affirmer que « The Game n’a pratiquement rien de nouveau à dire si ce n’est qu’il profite du renom de producteurs qui vont lui permettre de vendre à tous les gamins de 14 ans qui ne connaissent rien au rap ».

Et BBC d’en remettre une couche en pointant du doigt « la médiocrité d’un Jayceon Terrell Taylor bien incapable de transcender l’héritage de ses héros et les clichés relatifs au gangsta rap ».

Sur une notre un peu différente, de notre côté de l’Atlantique, conquis par l’exercice Les Inrocks concèdent que « chez les couilles molles du rap à dollars, chez tous ces ‘social-traîtres’ qui ont sacrifié conscience politique et engagements de jeunesse pour une carrière de larbins dans l’industrie de l’entertainment, on va sérieusement raser les murs ».

808s & Heartbreak de Kanye West

Sorti le 24 novembre 2008 sur Def Jam/Roc-A-Fella.

Après la trilogie du nounours College Dropout/Late Registration/Graduation, Ye prend ici un virage à 180 degrés tant sur le fond (suite au décès de sa mère et la rupture avec sa copine, il se fait plus mélancolique) que sur la forme (après avoir un peu trop écouter le Rappa Ternt Sanga de T-Pain, il nappe sa musique d’autotune du sol au plafond).

Résultat, comme l’écrit Indiepoprock : « Aucun album cette année n’aura autant divisé les critiques : chef d’œuvre innovateur et introspectif pour certains, disque de lamentation inachevée et auto-indulgent pour d’autres. »

Côté des admirateurs on retrouve The Guardian pour qui Kanye « parachève le travail initié par Timbaland et Pharrell Williams et enterre le rap de macho », Mojo qui décrit 808s comme « son disque à la fois le plus fascinant et le plus déconcertant » ou Vibe pour qui « c’est dans ses heures les plus sombres que Kanye a créé son plus grand album à ce jour ».

Côté sceptiques, on peut lire dans Uncut que le tout « ressemble à une démo inachevée », que « les chansons ne sont pas de plus marquantes » et que « l’autotune rend pénibles les parties chantées ».

Sans détester l’opus, le New York Times note lui que dans ses pires moments il peut sonner « maladroit et exsangue ».

So Far Gone de Drake

Sorti le 13 février 2009 sur October’s Very Own.

« Un jeune type relativement inconnu s’est amusé à enregistrer une mixtape avec quelques amis à lui et l’a ensuite téléchargé sur le net. Peu de temps après, la rumeur lui prête une liaison avec Rihanna tandis qu’il signe un deal à sept chiffres avec l’un des labels les plus hot du moment. »

« Ce jeune type c’est la star d’une série télé canadienne pour ados, et ses amis ce sont Lil Wayne, Trey Songz et Chris Paul. Encore plus bizarre, le fil conducteur de sa mixtape c’est la gloire et ses vicissitudes, quand bien même lorsqu’il bossait dessus il n’était pas spécialement connu. »

« Et maintenant que la mixtape est sortie, il est connu. »

Si à la toute fin de la précédente décennie vous avez manqué la mise en orbite de la plus grande rap star actuelle, ces quelques lignes de Pitchfork récapitulent bien les choses.

Et pour ce qui est de ladite mixtape en elle-même, L’Abcdr du Son récapitule lui aussi bien les choses : « Groupies sans saveur, entourage vénal, solitude des grands fauves : Drake débute à peine qu’il a déjà les problèmes de Kanye West (…) So Far Gone n’offre rien de viscéral, rien de vraiment touchant, il s’agit simplement un disque d’une efficacité absolue. »

À LIRE AUSSI 
La discographie de Drake passée au crible !

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT