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Ce jour où… Ja Rule a sauvé Jennifer Lopez de la catastrophe

Ce jour où… Ja Rule a sauvé Jennifer Lopez de la catastrophe

Avec la série « Ce jour où… » Booska-P revient sur ces anecdotes de plus ou moins grande importance qui ont marqué l’histoire du rap. Aujourd’hui place au duo qui a brouillé pour toujours la frontière entre la pop et le hip hop…

Janvier 2001, Jennifer Lopez est assise sur le toit du monde : à 31 ans, elle peut se vanter d’être la toute première personne dans l’histoire du divertissement à occuper simultanément la première place au box-office avec son film Un mariage trop parfait (une comédie romantique où elle partage le haut de l’affiche avec Matthew McConaughey) et la première place des charts avec son deuxième album J.Lo.

À cet instant T, difficile de lui contester son statut de plus grande star mondiale, et ce d’autant plus que deux ans après ses débuts dans la musique avec le succès surprise de son premier essai On The 6 vendu à 112 000 exemplaires en première semaine, J.Lo a largement doublé ces chiffres en trouvant 272 300 acheteurs.

Reste que si sur le papier l’ambiance est à la fête, dans les bureaux des pontes de Sony Music on s’inquiète de ce score somme toute assez modeste au regard du battage médiatique et promotionnel sans précédent orchestré pour l’occasion.

Plus grave, excepté le lead single Love Don’t Cost a Thing sorti début décembre, aucun des extraits proposés depuis n’a vraiment cartonné (Play, Cariño, Ain’t It Funny…).

Résultat, après un tout petit mois d’exploitation et moins de 600 000 copies écoulées, l’opus quitte sans gloire le top 10 et s’achemine vers une fin de vie beaucoup plus rapide qu’espérée.

Bien décidés à récupérer leurs billes (pour rappel les loulous on parle ici d’un temps où les coûts de production et les périodes d’exploitation n’étaient aucunement comparables à aujourd’hui), le grand patron Tommy Mottola et le producteur de légende Cory Rooney (Michael Jackson, Mary J. Blige, Destiny’s Child…) se voient dans l’obligation de frapper un grand coup avec le prochain single.

Leur plan ? Aller cette fois-ci draguer en plus des radios traditionnelles les radios urbaines, ces dernières étant désormais incontournables tant dans la guerre des parts de marché que dans celle du cool.

Problème : là où On The 6 avait merveilleusement réussi à fusionner ces deux publics avec le hit Feelin’ So Good qui invitait Fat Joe et Big Pun au micro, la tracklist de J.Lo ne contient pas le moindre morceau de cet acabit.

Qu’importe, Rooney se rappelle alors cette astuce apprise auprès d’un autre renard des studios, Puff Daddy : quand un disque ne convient pas, il suffit de le remixer.

« Le truc, c’est qu’il est impossible pour les radios urbaines de dire à Jennifer Lopez d’aller se faire foutre si sa chanson invite le mec le plus chaud du moment sur la bande FM » explique-t-il à Mottola.

Et en 2001, ce mec c’est Ja Rule.

Auteur quelques mois auparavant du trois fois platine Rule 3:36, son rap aussi festif que léger colle parfaitement aux cahiers des charges des deux hommes, et ce d’autant plus qu’il n’est jamais aussi haut dans les charts que lorsqu’il invite une chanteuse r&b au refrain cf. Between Me and You featuring Christina Milian, Put It on Me featuring Vita et Lil’ Mo ou encore If We avec Mariah Carey qu’il vient tout juste d’enregistrer et où il pousse lui aussi la chansonnette.

Contactés par Mottola (l’ex-mari de Mariah Carey soit dit en passant), Ja Rule et le boss du Murder Inc. Irv Gotti découvrent à leur grande surprise que le titre sur lequel il leur est demandé d’apporter leur patte est I’m Real, un titre qui certes tient à cœur à la chanteuse (pour la première fois de sa carrière, elle s’est astreinte à l’écriture des paroles), un titre où certes son mec Puff Daddy vient murmurer « She’s a bad, bad bitch », mais surtout un titre qui tient de la bluette croisée avec de la dance music.

« Quand nous l’avons écouté avec Irv, nous avons d’abord explosé de rire en leur demandant ce qu’ils voulaient que l’on fasse avec ça ? On leur a ensuite dit que l’on pouvait le retravailler du sol au plafond, même si sur le coup je n’avais aucune idée de ce que nous allions faire. »

Les deux lascars choisissent alors de s’atteler à ce que l’on appelle un « Part II-style remix », soit un remix qui reprend dans les grandes lignes le thème du morceau original, mais où les lyrics et l’instrumentale sont complètement réécrites.

Pour ce faire, plutôt que de trop se casser la tête, ils vont puiser dans le catalogue de leur label une démo écrite et interprétée quelque temps plus tôt par une jeune artiste qu’ils sont sur le point de signer, Ashanti.

Tandis que lui sont piqués ses refrains, ses chœurs et ses adlibs (ce qui à l’écoute de la version finale se fait assez largement sentir), Ja Rule pose son couplet et réécrit certaines paroles (dont la ligne de Lopez « I tell them niggas, mind ya biz » qui va valoir à la bomba latina une volée de bois vert pour avoir prononcé le n-word).

Et histoire de colorer le tout sans prendre de risque est rajouté le sample ultra grillé du Mary Jane de Rick James.

Sentant-là qu’ils détiennent un tube en puissance, Rule et Gotti insistent auprès de Mottola pour filmer le clip, non pas à la campagne comme prévu de base (voir le caméo ci-dessus à 4:19), mais en plein ghetto.

Tourné en 24 heures, I’m Real (Murder Remix) met ainsi en scène « Jenny from the blocks » et « R-U-L-E » dans la rue, sur un terrain de basket et dans un parc pour enfants.

Et quand bien même la chanteuse n’a en réalité pas fait grand-chose sur le titre (ce dont elle est coutumière…), cela ne l’empêche pas de dégager une vraie alchimie avec le rappeur – et accessoirement d’en laisser plus d’un rêveur avec son survêt peau de pêche rose bonbon.

Présenté tout d’abord au mois de juillet sur la réédition de J.Lo, le remix entre très rapidement dans les playlists des radios, au point de permettre à l’album de passer le cap des deux millions de copies écoulées dès le mois d’août suivant.

Et quand vient enfin la sortie single officielle le 4 septembre 2001, I’m Real (Murder Remix) monte sur la première marche des charts dès sa première semaine (le 11 septembre donc).

[Pour être exact, c’est la version originale de I’m Real sortie le même jour qui se classe numéro 1, les règles stipulant à l’époque que les ventes d’un remix s’additionnaient à celles de la version originale.]

Boosté par cette dynamique, J.Lo passe de la 90ème place des ventes à la 10ème, avant de récolter une triple certification platine début novembre !

Ravis du succès de leur opération marketing, Tommy Mottola et Cory Rooney exploitent la manne jusqu’au bout en plaçant I’m Real (Murder Remix) sur le solo de Ja Rule Pain Is Love puis sur la compilation J to tha L-O! The Remixes.

Tout aussi ravi, Ja-le-murderer clamera plus tard non seulement avoir été « le premier artiste hip hop à écrire une chanson r&b/pop numéro 1 dans le pays », mais également « avoir été celui à qui l’on doit la création de ce style de duo mi-rappé, mi-chanté ».

Désireuse de capitaliser sur ce créneau nouveau, la fine équipe s’empresse de remettre le couvert en appliquant la même recette : un titre de J.Lo servant de prétexte (Ain’t It Funny), un couplet de Ja Rule assorti d’une partie chantée à la fin, plus Ashanti qui signe paroles et refrain – et qui cette fois est créditée au générique et apparaît même dans le clip.

Seules différences notables : outre l’addition de Cadillac Tah (qui ça ?), les règles de certification ont entretemps été modifiées pour éviter aux artistes de réaliser des coups marketing en cumulant artificiellement les ventes de deux chansons qui n’ont en commun que le titre.

Au final peu importe, Ain’t It Funny (Murder Remix) termine quand même numéro 1 des ventes, détrônant pour ce faire… Always On Time, le duo entre Ja Rule et Ashanti.

Y a pas à dire, au début du siècle personne ne pouvait tester le « murder eye-enne-cee ».

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