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Quand parler sur le rap rapporte des millions !

Quand parler sur le rap rapporte des millions !

Dans le rap français, y’a pas que les rappeurs qui font des millions de vues. Place aux Youtubers tendance culture urbaine

Les YouTubeurs sont rentrés dans nos habitudes à force de reportages commençant par « Vous ne le connaissez sûrement pas, mais c’est une star chez les jeunes. Il accumule les millions de vues et d’euros en se filmant lui-même ». Nombreux d’entre nous vont regarder les dernières sorties de leurs vidéastes préférés en rentrant chez eux, délaissant ainsi le petit écran. Ces créateurs se sont fait connaître en parlant de sujets divers et variés. À chaque époque, sa tendance. Le « YouTube Game » a d’abord était dominé par des sujets de société comme « la rentrée des classes », « les 10 types de meufs », « la frite perdue dans les potatoes au Mac Do ». Puis, ce sont imposés deux grands mouvements : pour messieurs les jeux vidéos (avec des stars comme Wartek, Diablox9, LeV12) et pour mesdames les tutos beautés (en tête EnjoyPhoenix). Depuis deux ans, une tendance est en train de tout balayer sur son passage et permet l’émergence de nouveaux YouTubeurs : le rap français. Que ce soit pour l’analyser, le critiquer, le parodier ou l’encenser ; ils sont de plus en plus nombreux à avoir choisi de parler de rap sur YouTube, et avec succès. Petit tour d’horizon de ces Youtubeurs du rap, multimillionnaires (en vues, pour la plupart).

Les précurseurs du YouTube Rap Game

Toute arrivée a son départ (comme dirait Kery), et il est important de rendre hommage aux premiers vidéastes à s’être intéressés au rap, bien avant qu’ils deviennent bankables. Bien avant même que le mot YouTubeur ne soit inventé. S’ils ne peuvent pas nécessairement prétendre au « statut », ils en ont une bonne partie de caractéristiques.

Les premiers avaient souvent une double-casquette, à la fois rappeur et YouTubeur (maintenant on observe plutôt l’inverse). Le plus insaisissable d’entre eux était probablement le Roi Heenok. Cette figure du rap québécois (c’est ainsi qu’il se présentait en France, et inversement dans son pays) s’est fait connaître en 2004 pour ses vidéos délirantes diffusées sur son site web. Pour ceux qui étaient trop jeunes pour en profiter, vous pouvez vous régaler d’un best-of où il sera question tour à tour de drogues, d’armes, de chaîne qui touche le pénis et autres joyeusetés. Son équivalent en France pourrait être, toutes proportions gardées, Morsay des Truands de la Galère. « Le rappeur » de Clignancourt a plus brillé par ses vidéos invraisemblables (de ses embrouilles avec des forums en passant par sa candidature à la présidentielle 2012) que par son flow. Très regardé, on se rappellera plus de ses gimmicks, tel que « Cliquez, cliquez bandes de sal*pes », qu’une seule de ses chansons. Il réussira la prouesse de produire un film, « La Vengeance », d’un niveau pas si médiocre.

Parmi les vidéastes précurseurs, celui qui se rapproche le plus du YouTubeur actuel n’est autre que ton gars Vantard [Abonnés 13k / Vidéo la plus vue : « BOOBA x NERO NEMESIS ALBUM [CHRONIK] x Vantard » 170K]. Hyperproductif (500 vidéos ces deux dernières années), il a réalisé de nombreuses chroniques ou interviews parlant de rap et ce depuis l’époque des Skyblogs (coup de vieux pour tout le monde). C’est un peu l’ancêtre de beaucoup des vidéastes présentés dans cet article (sans les mythiques 20 premières minutes d’auto-congratulation).

Les créateurs et autres saltimbanques

C’est un peu le haut du panier des YouTubeurs rap. Ceux qui dépassent le commentaire pour livrer une création originale. Ils ne sont pas nécessairement spécialisés dans le rap et peuvent explorer d’autres horizons (souvent connexes : le ballon rond, la pop-culture ou les beurettes de chichas). Le pionnier est probablement Willaxxx [Abonnés 48k / Vidéo la plus vue : « WILLAXXX KAARES SEAU » 2,3M]. Cet humoriste des cultures urbaines s’est fait connaître avec ses parodies désormais classiques comme celles de la Sexion D’Assiette ou, encore, sa meilleure (qui avait titillé le démarrage de l’originale) : Seau de Kaares. Il continue de produire des parodies, et autres types de contenus en lien avec la culture urbaine, généralement pour le compte du Mouv’. Dans cette catégorie des créateurs, il est possible de parler de John Rachid [Abonnés 900k / Vidéo la plus vue : « J’ai mal au rap : JUL » 4,3 M]. Ce YouTubeur, qui se définit plutôt comme comédien, a explosé aux yeux du grand public grâce à sa série « J’ai mal au rap ». Une série de dix vidéos où il égratigne ses rappeurs détestés-préférés, avec un humour et une vulgarisation qui a plu au grand public (et qui est probablement la première preuve que parler de rap français sur YouTube pouvait ramener des millions de clics). Une fois la série achevée, avec un épisode consacré à Skyrock, il s’est lancé dans une série inverse, les « J’ai pas mal au rap » dont le premier épisode fut consacré à Lino. Même si John Rachid est loin de se limiter au rap, c’est surtout à ce dernier qu’il est identifié, et il en est devenu gros influenceur (deux preuves : chacune de ses vidéos augmente le compteur de vues des titres évoqués, et il a été choisi pour débattre avec Juppé sur France 2 #truestory).

Dans cette catégorie des créateurs, un petit nouveau est venu bousculer le game. Maskey [Abonnés 360k / Vidéo la plus vue : « Comment faire du PNL ? La Recette #1 » 3,2 M], ancien YouTubeur FIFA, il a déboulé dans le YouTube Game comme Kaaris dans Kalash. Violemment et par surprise. Son concept de vidéos, Les Recettes, lui permettent de revenir sur ce qui fait le succès d’un rappeur avec une bonne dose d’humour et de vérité. Il a commencé par PNL (un point commun à tous les vidéastes depuis 2015) et une vidéo culminant à plus de 3 millions de vues. Il s’est ensuite attaqué à MHD, SCH,.. En seulement 5 vidéos, il est devenu le YouTubeur à suivre et a été propulsé dans le Gros Journal de Canal +.

Les analystes du vendredi, ceux qui kiffent

On rentre dans une autre catégorie importante de ces vidéastes du web : les analystes. Nombreux, l’analyse étant à la portée de tous (malheureusement par moment), ils n’empruntent pas tous la même voie. Nous allons commencé par les plus positifs d’entre eux, les fans de rap français. Simples amateurs pour le plupart, ils vont écouter des albums ou visionner des clips et les analyser à travers des vidéos. Parmi eux, Loic Review [Abonnés 99k / Vidéo la plus vue : « PREMIERE ECOUTE – My World (JUL) » 560K], auditeur passionné, il livre très régulièrement des reviews face caméra des derniers albums sortis. Le principe de ses « Premières Écoutes » est simple, il découvre en direct les morceaux des albums et partage ses impressions à son audience. Il essaye d’y apporter une forme d’expertise à travers des informations exigeantes (pas toujours vérifiées, comme le disque d’or de PNL aux USA en 3 jours ou des termes plus techniques. Dans les faits, c’est principalement sa personnalité qui intéresse ses auditeurs, pressé d’entendre l’avis de leur chroniqueur préféré. En tant que fan, il livre un avis très subjectif, souvent redondant et simple (difficile de faire autrement quand on découvre un morceau en direct) mais souvent de manière très positive. Dans un registre plus « argumenté » on retrouve LEGISTOR [Abonnés 73k / Vidéo la plus vue : « TOP 10 de ma playlist rap Français 2014 » 887K]. L’individu, dont on n’a jamais vu le visage, s’est spécialisé dans les analyses, d’albums dans un premier temps, puis de clips (en particulier de PNL, succès assuré). On se surprend à redécouvrir des clips que l’on vient de voir avec des vidéos de 10 minutes qui enchaînent des anecdotes, références et suppositions (plus ou moins farfelues par moment). Comme un pont entre Loic Review et LEGISTOR, se trouve le jeune LNST [Abonnés 188k / Vidéo la plus vue : « [MEURTRE DANS LE CLIP PNL – ONIZUKA ! CRITIQUE » 640K]. Après avoir commencé avec des concepts de qualité comme « J’OUVRE VOS SNAPS #1 : UNE PAIRE DE ‘EINS ?! », LNST s’est vite lancé sur le créneau du rap. Avec une grosse dose de « positive attitude » il publie de nombreuses vidéos sur le rap français, principalement des critiques très subjectives d’albums ou surtout de clips de PNL (lui aussi !). Bon, même s’il surnomme ça des analyses, ne vous attendez pas à du journalisme de haut niveau. C’est surtout de l’entertainment.. si vous avez plus de 25 ans, vous risquez de trouver ça très vide de sens. Sinon, vous risquez de rigoler avec le rap, et non sur le rap.

Les analystes du samedi, ceux qui se moquent

Y’a les analystes qui parlent aux fans de rap, et y’a ceux qui parlent à ceux qui le critique ! Ces YouTubeurs, qui ne parlent pas uniquement de rap, ont flairé le bon filon en tapant sur un sujet qui parle à tout le monde : le rap français. Pour être sûr de faire du clic, il faut taper sur des cibles décriées. Le top du top, c’est de parler de Maître Gims ou de JUL (lire : les rappeurs que l’on aime détester). Le papa des ces YouTubeurs est probablement « La Ferme Jérome », à qui l’on doit une série de vidéos « VS » en 2012. Dans ces vidéos, il se moquait de certains artistes (en particulier rap) avec un succès fulgurant (à une époque où le million de vues n’était pas aussi accessible).

Parmi ces YouTubeurs, on compte aussi Mister JDay [Abonnés 555k / Vidéo la plus vue : « SARKOZY : AVANT QU’IL PARTE (Parodie Sexion d’Assaut) » 2,8M], il parle un peu de tout sur sa chaîne YouTube. Analyse de publicités, de tendances, parodies, mais surtout du rap français. Ses vidéos les plus vues sont monopolisées par ses critiques de JUL, Maître Gims ou encore Booba. Si vous êtes fans de rap, consolez vous en lisant les commentaires de sa communauté : « Pour résumer les musiques de Jul : C’est de la merde, s’il vous plaît, écoutez Orelsan ». Dans le même registre, en beaucoup plus gros, on retrouve LinksTheSun [Abonnés 1,28M / Vidéo la plus vue : « Game over – Vitaa feat. Maître Gims (critique) » 4M]. Il aborde de très nombreux sujets, et nous fait l’honneur de parler de rap dans la série « Non mais t’as vu ce que t’écoute ». Ses vidéos mélangent, de manière réussie, une multitude de références. Pour finir dans les moqueurs du rap français, on passe à l’idole des jeunes, Seb aka « Seb La Frite » [Abonnés 2,6M / Vidéo la plus vue : « Seb la Frite – JUL » 9M]. Il réalise de nombreux concepts sur sa chaîne (des tops, des analyses, des FAQ), les plus plébiscités étant les vidéos d’analyse sur les rappeurs (qui en prennent pour leur grade). La recette est simple, faire des vannes assez accessibles sur des rappeurs qui font débats (JUL, Gims, Booba, Zifou,..) pour le plus grand plaisir de son public assez jeune qui est plongé dans le rap français.

Pour leur défense, ces « humoristes du web », même s’ils se font un malin plaisir à critiquer le rap, ils en sont probablement des grands fans. Preuve en est, la vidéo très documentée de Seb qui revient sur « L’histoire du rap » (qui dure tout de même 30 minutes). Mais quand on voit les vues que génèrent ces critiques, on comprend mieux l’intérêt de prendre le risque de croiser un Booba énervé en soirée (mais faudra courir vite).

Les analystes du dimanche, ceux qui dérapent

Le côté obscure de YouTube, là où tout est permis. Bienvenue dans le monde où le triangle est roi. Où la conspiration est de mise et qu’il est conseillé d’être armé d’une bonne dose de recul pour ne pas se perdre dans les méandres de la paranoïa.

La spécialité des ces YouTubeurs, c’est de dénicher tous les indices pouvant relier les rappeurs à une quelconque secte, en particulier les Francs-Maçons ou, encore mieux, les Illuminati. Les démonstrations font preuve d’une mauvaise foi et d’une partialité (ou manipulation) certaine. Depuis quelques temps, une nouvelle corde s’est ajouté à leurs arcs : l’islam et le satanisme. Avec une grande majorité de rappeurs musulmans, ils se font un malin plaisir à mettre le doigt sur leurs contradictions.
Certains ont poussé le délire beaucoup plus loin, c’est notamment le cas de Matthias Cardet. L’auteur de « L’effroyable imposture du rap » a crée toute une rhétorique autour de la soumission du rap au capitalisme (et au judaïsme). Avec des méthodes inspirées de Alain Soral, qu’il a un temps côtoyé, il a réussi à faire le « buzz ». Pour que son discours se transmette au plus grand nombre (le support papier n’étant pas des plus adapté), il a aussi officié sur YouTube en étant invité dans différentes interviews (notamment une interview en 3 parties comptabilisant 600.000 vues chez Sinox).

La star des conspirationnistes c’est KILLUMINATY SMG [Abonnés 51K / Vidéo la plus vue : « ALONZO Binta (Décrytage Clip Satanique) » 532K]. Un rappeur frustré qui décrypte tous les clips de rap (avec une affection particulière pour Kaaris et Alonzo) pour y trouver des preuves satanistes. Il s’est fait connaître grâce à sa vidéo « ALERTE AUX MUSULMANS Maître Gims Sapés comme Jamais Clip dans une mosquée » (plus d’un million de vues avant sa suppression). Une allégation qui a fait le buzz et qui lui permet d’exister depuis avec des vidéos digne de la 4ème Dimension où il critique ses clips diffusés sur sa PS4. Le cocktail est épicé, ses arômes préférés : satanisme, « PD » et juifs. On pourrait en rire avec ses formules mythiques « C’est évident mes frères », mais on ne peut que s’inquiéter de la résonance qu’il peut avoir. Sur les centaines de milliers de vues qu’il accumule par vidéo (poussant certains artistes à lui répondre, comme Kaaris dans notre interview), certains y croient dur comme fer. Heureusement que Masta E.X fait ça uniquement pour éclairer ses frères et pas pour vendre ses T-Shirts sur eBay et promouvoir ses propres clips.

Cet article n’est qu’une preuve de plus de la toute puissance du rap dans la culture populaire. Parler de rap est devenu aussi mainstream que les vidéos de chats, de Call Of Duty ou de Make-Up. Si vous voulez percer rapidement dans le YouTube Game, il vous suffirait presque de parler de rap français, que ce soit en bien, en mal ou pour dire n’importe quoi. Jouez avec les clichés, exagérez vos réactions, faites preuve de créativité et surtout soyez originaux. Vous pourrez devenir un « YouTubeur qui parle sur le rap » (et devenir millionaire.. en vues YouTube), à moins que vous ne soyez un « YouTubeur qui fait du rap » (mais ce sera l’objet d’un autre article).

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